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Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon

Par Guixxx @zeaphra
Vous vous rendez compte qu’on est déjà à la fin du mois de juillet ? J’ai l’impression qu’hier encore je partais en vacances, des étoiles plein les yeux, des rayons de soleil me réchauffant le cœur. Finit les vacances pour moi, mais pour certains d’entre vous elles commencent à peine. De mon côté, j’ai repris la lecture, et j’entame ma pile de parutions de la rentrée littéraire. Vous l’avez peut-être déjà remarqué avec Wunderkind et Même pas mort qui ne sortent que fin août. Cette année, énormément de romans me font de l’œil, chose rare. Surtout en littérature française. Surtout. Vous savez bien ce que je pense de la littérature française, souvent trop nombriliste et expérimentale à mon goût. Et pourtant ma dernière lecture m’a mis une claque, et c'est un roman français. J’ai encore du mal à m’en remettre, le roman suivant à intérêt à tenir la route parce que la barre est haut placée ! C’est à cause de Sorj Chalandon, qu’elle idée de faire des romans aussi coup de poing, aussi bons que Le Quatrième mur ? Je le connaissais de réputation, beaucoup de monde – dont mes collègues - louaient son talent, et son passé de primé (Médicis en 2006, Académie Française en 2011) en rajoutait une couche. Alors je me suis dit qu’il était peut-être temps de goûter aux dons d’écrivains de Sorj, d’autant plus que l’histoire du Quatrième mur était particulièrement attirante. Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon Georges à la trentaine. Ancien activiste communiste, jeune papa de la petite Louise, metteur en scène marié à une comédienne aussi engagée que lui, il a tout pour être heureux. Et puis il y a Samuel, son meilleur ami, un metteur en scène grec, qui a lutté contre la dictature de son pays natal dans les années 70 avant de s’exiler en France, son pays de cœur. Il est le parrain de Louise, il est comme un frère pour Georges. Alors quand Sam, malade en phase terminale, demande à Georges de reprendre son dernier projet théâtral en date et lui fait promettre de s’y tenir, Georges accepte. Ce projet est une pure folie : mettre en scène l’Antigone d’Anouilh, pièce favorite de Samuel, dans un cinéma en ruine de Beyrouth, avec comme comédiens un membre de chaque communauté religieuse en guerre.  Un instant de paix arraché aux grondements de la guerre, un moyen peut-être d’instaurer l’art comme réconciliation… Certains, comme moi, ne connaissent pas bien certains détails de l’histoire. Le Liban, je connaissais un peu son histoire, martelée par les guerres ces quarante dernières années, les murs troués de balles de Beyrouth, ses différentes confessions religieuses. Je lui savais une histoire sanglante, sans en connaître aucun détail. Ce n’est pas une période de l’histoire qu’un petit français apprend avec précision, ce n’est qu’une date et un fait parmi tant d’autre durant la Guerre Froide. Je ne savais donc pas à quoi m’attendre, concrètement. Quand j’en ai parlé à l’un de mes collègues plus âgé, citant l’année 1982, il m’a dit se souvenir exactement de l’horreur qui avait saisi le monde face aux événements de cette année-là. Pour lui, c’était un fait marquant de l’histoire, pour moi c’était encore à découvrir. C’est l’une des raisons qui m’a donné envie de lire Le Quatrième mur, en savoir un peu plus sur ce conflit qui a fait date, en comprendre un peu mieux les tenants et les aboutissants, ce qui est arrivé grâce à l’histoire de Georges conté par la plume éclatante de Sorj Chalandon. L’autre raison, c’était la mise en scène d’Antigone, cette histoire de pièce de théâtre antique dans les décombres d’une guerre contemporaine. J’ai lu Antigone au lycée, me souvient d’une pièce à la fois empreinte de noirceur et de décalage, une pièce contradictoire qui m’a laissé avec pas mal d’interrogations. C’est ce qui intéresse Samuel, et Georges à son tour, c’est ce qui marquera leurs comédiens, tous épris d’une religion différente et qui assimileront le message que transmet Anouilh à travers son œuvre chacun à sa façon. Mais tous seront d’accord pour s’associer dans cette grande entreprise, pour installer un cessez-le-feu symbolique, au nom de l’art. La première partie du roman nous raconte l’histoire de Georges et Samuel, leurs parcours de jeunesse, l’engagement de Georges contre les fascistes, son passé de militant communiste, sa fougue et son impétuosité. Sa rencontre avec Georges, plus âgé, maître de lui-même, héros et symbole d’une lutte contre la dictature, un mentor. La naissance de Louise, la joie d’être mari et père, et la terrible peur de perdre un ami cher. Georges va partir au Liban sans rien savoir lui non plus des conflits qui entachent le pays, avec la conviction de faire une erreur, de courir à sa perte. Puis vient la découverte d’un pays, de différents peuples, et son projet prend de l’ampleur, son ambition rejoint celle de Samuel, ses comédiens deviennent ses amis et le Liban un terrain pour exprimer son art. Il apprend ce qu’est véritablement l’action, fraye plusieurs fois avec la mort, rencontre des gens aux convictions si fortes, aux croyances si puissantes qu’il a presque honte de son pays, de son expérience, de sa vie en France. La seconde partie du roman commence le 6 juin 1982 alors qu’Israël lance l’opération Paix en Galilée, bombardant Beyrouth, amenant le conflit à encore plus d’atrocités. Georges se retrouve dans le nerf de la guerre, homme de théâtre totalement perdu et inutile dans une explosion de violence. Et la descente aux enfers commence… Que dire à part que j’en ai pleuré, des hoquets silencieux, de la lecture de ce roman. C’est à cause de l’histoire, bien entendu, que l’on sait déjà difficile dès les premières pages : un roman sur la guerre au Liban, ça ne peut être que douloureux. Mais c’est aussi à cause de l’auteur, qui nous plonge dans la vie de Georges et dans ce projet ambitieux et risqué, où l’on suit chacun de ses bons ou mauvais pas avec appréhension, attendant l’étincelle qui déclenchera le feu. On espère avec lui que tout se passera bien, on attend avec impatience de voir cette mise en scène de la tragédie d’Antigone, d’assister à la mise en œuvre de cette idée géniale, folle, magnifique. On partage ses espoirs, ses doutes, on s’attache comme lui à ce qui l’entoure. C’est pourquoi le coup de poing vous prend à revers, vous laisse au tapis. Mais ce coup de poing est nécessaire pour sublimer le roman, pour le conclure en beauté, c’est logique, c’est fatal.
Le quatrième mur, c’est une notion de théâtre que j’ai appris grâce à ce livre, c’est le mur imaginaire que les acteurs situent à la place du public, qui leur permet d’évoluer avant plus d’aisance en occultant la place des spectateurs, et rend plus confortable le spectateur qui devient et reste juste un témoin passif de l’histoire. Mais de temps à autre, les acteurs « brisent le quatrième mur », et s’adressent directement au public, l’invitant ainsi à réfléchir, à avoir un esprit critique, à se questionner et ainsi à s’impliquer dans la pièce. Dans Le Quatrième mur, même Georges à un rôle dans sa pièce, il est le Chœur, il est la distanciation, il est le quatrième mur. Du début à la fin il nous compte l’histoire comme un comédien, nous fait assister à la mise en place de sa pièce de théâtre, à son voyage, à ses rencontres, à sa confrontation face à l’Histoire. Et que ce soit Georges ou Sorj, il brise le quatrième mur pour nous, car si Le Quatrième mur n’est qu’un roman, où aucun personnage n’est réel, il rappelle une période de l’Histoire encore sensible aujourd’hui  dont l’origine lointaine n’a pas fini de ravager notre monde. Ce roman magnifiquement écrit, mené de bout en bout d’une main de maître, est bouleversant de sincérité, et ne laissera personne indemne. Il me semble difficile d'en dire plus, j'en ai déjà trop dévoilé. Mon article est peut-être un confus, un peu éparpillé, de toute manière il vous faut le lire pour en saisir toute la beauté, toute l'essence. Il paraît le 21 août aux éditions Grasset. Pour ma part je note Sorj Chalandon comme auteur à découvrir et à suivre absolument, et si ses romans précédents sont aussi bons que celui-ci, je serais comblée !

Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon

Antigone d'Anouilh mis en scène en 1944, au cœur de la Seconde Guerre Mondiale


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