Points de rupture

Vivre à l’étranger, c’est bien entendu se confronter à l’autre, se frotter à ses propres limites, découvrir ses points de rupture, ces endroits où définitivement la compréhension s’arrête pour laisser place à la confusion, au mieux, ou à l’indignation. J’ai souvent frôlé ces points de rupture, mais un dimanche, sur la plage privée du très chic hôtel de Tyr, le Rest House, j’ai atteint un point de rupture. Ce qui ne m’a pas empêché de ne rien faire, à l’image du Candide de Voltaire, quand il rentre dans la ville de Surinam tout pleurant, tirant ses lingots d’or, et laissant derrière lui le pauvre nègre  esclave, estropié, manchot. Je me rendais donc à la plage, avec mon jeune fiston, et Tina, la jeune femme éthiopienne que j’ai embauchée pour un mois à la maison, comme nounou. Enfin "bonne" comme on dit au Liban. Au moment de payer l’entrée, le caissier me demande : "Une personne ?", je me retourne pour vérifier. Tina est bien là. Elle aurait pu prendre un maillot, je le lui avais proposé. Je montre au caissier la jeune femme, et je dis : "non, on est deux". Le caissier me regarde : "yes, one person".

Le lendemain, je raconte au lycée cet échange. Une collègue me fait part d’un scandale, il y a peut-être quelques années, dans la piscine d’un hôtel de luxe à Beyrouth, où voulut aller se baigner l’épouse de l’Ambassadeur des Philippines, avec ses enfants… Et sur certaines plages, les "gens de couleur" (sic) et les handicapés sont interdit de baignade…

Au pays du Cèdre, il fait surtout bon vivre :

- si on est libanais

- si on est libanais avec une grosse voiture qui permet de rouler n’importe comment sans craindre pour sa peau

- si on est libanais avec un cousin/ un frère / un oncle dans le parti qu’il faut pour voir ses droits respectés, et parfois aux dépends des des droits des autres … voir ici

- si on est libanais et pas afro-libanais

- si on est libanais et pas handicapé

Points de rupture…