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« Leave her to heaven », réalisé par John M. Stahl en 1945, est un puissant mélodrame dans lequel on a droit à une Gene Tierney époustouflante dans le rôle d'une femme rongée par la jalousie. Un personnage composé avec beaucoup de finesse et d'intelligence, qui sombre peu à peu dans la passion meurtrière et dont Gene Tierney nous livre toute la troublante complexité.Face à elle, deux autres grands acteurs, Cornel Wilde et Vincent Price, ce dernier s’adonnant dans le dernier quart d'heure à un numéro de haute voltige qui donne le vertige.Le film utilise tous les éléments possibles pour créer un univers ouaté et sublimé : la musique d'Alfred Newman, la photographie de Leon Shamroy, le technicolor flamboyant, le soin extrême apporté aux décors, aussi bien intérieurs que naturels, et aux costumes … On est en plein dans ce qu’Hollywood pouvait créer de mieux en termes d’habillage et, en même temps, le réalisateur réussit à créer une distanciation par rapport à la narration, en faisant craqueler petit à petit le glamour et le romantisme. La séquence finale au tribunal, souvent décriée par les critiques, est à mon sens essentielle, Vincent Price y étant lâché comme un chien enragé pour décortiquer et railler les codes présidant aux histoires d’amour à l’eau de rose.La mise en scène de John M. Stahl reste précise tout au long du film, incisive, sobre, mais installant petit à petit un climat d’intranquillité, de peur et même de terreur. Par moments, on est comme dans un rêve ou un cauchemar éveillé, ça m’a même fait penser à David Lynch par moments. Sous ses dehors de mélodrame, « Leave her to heaven » est en réalité un film noir intense et givré, doublé d’une analyse presque clinique d’un cas pathologique de psychose, ceci 15 ans avant le film d’Alfred Hitchcock. Il contient entre autres une des scènes de meurtre les plus effroyables qu'il m'ait été donné de voir à l'écran. Comment oublier Gene Tierney et ses lunettes de soleil, pagayant, ou plutôt ne pagayant pas, au milieu de ce lac baigné de couleur ?Cette scène et bien d'autres nous placent au niveau du cinéma d'un Hitchcock ou d’un Kubrick.