Michel-Jean Cazabon, le bicentenaire

Publié le 25 juillet 2013 par Aicasc @aica_sc

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Le 6 Juillet 2013 à Belmont House (Kent), une célébration rendait hommage à Michel-Jean Cazabon, le plus célèbre peintre du XIXème siècle de Trinidad et Tobago.

L’initiative de cette célébration du bicentenaire de sa naissance revient au romancier Lawrence Scott, initiative largement approuvée par Geoffrey MacLean, le haut-commissariat de Trinidad et Tobago à Londres, et le Belmont House Trust.

Les quatre intervenants, Lord Colgrain, Administrateur de Belmont house, Son Excellence Garvin Nicholas, Haut-Commissaire de la République de Trinidad and Tobago, MacLean et Scott ont tour à tour dévoilé les moments les plus heureux ou les plus sombres de la vie de cet artiste Afro-Caribéen du XIXème siècle.

Pour Son Excellence, le Haut-Commissaire de Trinidad et Tobago, il s’agissait d’évoquer l’héritage de Cabazon et d’insister sur l’impact de ce personnage, premier peintre Trinidadien célèbre pour notre monde contemporain en ce XIXème siècle marqué par le libéralisme. Ce qui faisait sa singularité était son statut de ‘libre de couleur’, un statut ‘entre-deux’ qui avait autant d’avantages que d’inconvénients. Dans cette société profondément divisée, où une majorité combattait encore pour la liberté et la dignité, il était l’artiste qui dépendait du bon vouloir et des caprices des privilégiés.

Cependant, il reste à souligner  qu’ayant épousé une Française, et ayant connu le succès dans les groupes artistiques Européens, Cazabon aurait pu se contenter de s’installer confortablement en Europe pour fuir la pénible controverse. Au lieu de cela il semble qu’attiré irrésistiblement par son pays natal, il ait choisi, de rentrer et de peindre les paysages Trinidadiens, espérant bâtir un futur possible.

C’est dans les années 1840 que Cazabon revint à sa terre natale pour s’installer comme peintre paysagiste et Professeur d’Art à Port-of-Spain, recevant ses commandes et enseignant à la bourgeoisie blanche et aux libres de couleur. Bien qu’ayant reçu une éducation à l’anglaise, il suivit des cours à l’Ecole des Beaux-arts à Paris avec Paul Delaroche et s’y initia à toutes les techniques en vogue. Artiste à succès il exposa au Salon du Louvre en 1839, puis de 1843 à 1847. Parcours remarquable pour un homme de couleur dans un XIXème siècle pourtant marqué par le colonialisme. Souvent rattaché à l’Ecole de Barbizon, il côtoya des artistes d’avant-garde tels que Theodore Rousseau, Jean-François Millet, Jules Dupré et Camille Corot. Sa connaissance des grands maîtres du paysage, Constable et Turner lui venait de ses années d’études à St Edmund’s College dans le Hertfordshire.

 A cette époque marquée par l’Abolition, l’artiste Cazabon bénéficiait de la protection du gouverneur de l’époque, George Francis Roberts, Lord Harris, Troisième du nom. De telles relations lui ont certainement ouvert l’accès auprès d’autres riches clients pour lesquels il a produit bien de ses célèbres albums. Quand Lord Harris quitta Trinidad pour rejoindre son nouveau poste à Madras – départ dévastateur pour le statut social et financier de Cazabon – il emmena avec lui une collection non-négligeable d’aquarelles et de peintures à l’huile. Collection qui restera stockée dans  sa maison familiale du Kent, Belmont House,  jusqu’au décès de. Lord Harris, Sixième du nom. C’est en devenant ‘The Harris Belmont Charity’, et après les investigations de Geoffrey MacLean assisté de Margaret Woodall, l’archiviste, que le lieu révéla le trésor caché de Cazabon, ses peintures.

Michel – Jean Cazabon

Spécialiste de Michel-Jean Cazabon, et également écrivain –il a publié entre autres des livres sur Cazabon-, curateur, conservateur, MacLean a également organisé en 1991 en Martinique l’exposition des œuvres de Cazabon ; des œuvres provenant de la Aquarela Gallery de Trinidad qui recouvre sa période française, les années 1860 où il vivait à la rue Longchamp à Saint-Pierre. Il a surtout exprimé son désir d’organiser une seconde phase d’expositions – à Trinidad cette fois- des œuvres du premier peintre de paysages international Afro-Caribéen.

La dernière intervention de cette célébration, celle de Lawrence Scott –auteur de Light Falling on Bamboo- se basait sur l’importance dans cette société marquée par des critères de couleurs, des clients par rapport aux artistes, quand bien même des relations de sympathie s’établissaient. Scott soulignait surtout ce caractère insidieux du racisme colonial présent dans la structure sociale. Cazabon était un ‘libre de couleur’, son grand-père venait de Bordeaux et s’était installé à la Martinique ; après son union avec une femme noire dont il eut trois enfants dont François, le père de Michel-Jean, le couple avait émigré à Trinidad. Cette filiation plaçait l’artiste dans cette situation particulière, entre Noirs et Blancs, et, selon les nombreux témoignages historiques, tant dans la Caraïbe qu’en Amérique Latine, haï par les deux communautés.

Sans pouvoir trouver un réconfort en Martinique, terre de son père, le peintre n’eut plus qu’à revenir à Trinidad vivre les dernières années de sa vie, peignant jusqu’à la fin, en dépit de l’amertume, de la confusion et de la désillusion qui s’étaient accumulées. Cinquante années après sa mort, avec les derniers soubresauts du colonialisme, Aimé Césaire ainsi que Léopold Sedar Senghor allaient lancer le mouvement de la Négritude, ouvrant ainsi un nouveau chapitre. Cette initiative constituait une arme intellectuelle fantastique contre le racisme et l’aliénation nourries par l’esclavage, et qui a prospéré avec le colonialisme.

En réponse à la citation de Jerry Philogene concernant les artistes caribéens ‘dispersés’ dans la Diaspora j’ajouterais que Cazabon s’était noyé dans son propre ‘endezo-‘entre-monde’- cet espace de négociation insaisissable entre la Caraïbe et l’Europe, entre noir et blanc, vrai ou faux, auquel il répondit en vivant, en peignant et en mourant à Trinidad.

D’après Eliane Mac Intosh, traduction de Suzanne Lampla