“Ce qui est admirable, ce n’est pas que le champ des étoiles soit si vaste, c’est que l’homme l’ait mesuré”, écrivait Anatole France. Il n’est pas une nuit d’été où, visitant un site d’observation des Nuits des étoiles, une frange de public curieux s’interroge sur la façon dont les astronomes ont arpenté le ciel, depuis la Lune jusqu’aux galaxies les plus distantes de l’Univers. La question reprend souvent l’image du moyen mnémotechnique le plus marquant, utilisé par les vulgarisateurs pour parler de la profondeur des gouffres cosmiques : est-il vrai que nombre d’étoiles visibles dans le ciel sont déjà mortes ? La réponse, idéale pour l’animation de la soirée, a la forme d’une joyeuse matriochka. Cette poupée russe en bois s’ouvre en deux et révèle à l’intérieur, emboitées les unes dans les autres, une série de figurines toujours plus petites, à l’image d’un questionnement sans fin.
Il faut dire que d’Hipparque à Gaia, le fil de l’histoire court sur plus de deux millénaires. Le premier, astronome et mathématicien grec au IIe siècle av. J.-C., a découvert la précession des équinoxes, inventé l’astrolabe, dressé l’un des premiers catalogues d’étoiles, et amélioré l’évaluation de la distance Terre-Lune à partir de l’observation des éclipses. Le second est un satellite de l’ESA qui prendra son envol à l’automne, pour cartographier en 3D pas moins d’un milliard d’étoiles de notre sphère galactique proche.
De la précision de Gaia, digne successeur d’Hipparcos, dépend toute une série de mesures fondamentales pour l’astrophysique et la cosmologie. Les mouvements des étoiles ; la dynamique de la Galaxie ; la distribution de la matière noire et de nouvelles vérifications de la théorie de la relativité générale… La nuit risque d’être trop courte pour dérouler le fil d’Ariane des distances dans l’Univers !
Il n’en reste pas moins que cette histoire, mêlant les arpenteurs du monde à ceux des luminaires célestes, est aussi celle d’une quête sans fin. Mesurer l’espace entre les étoiles, puis en projeter la trame mouvante aux lointaines galaxies, est comme lire l’heure sur la montre molle de Dali. La vision poétique de l’espace-temps, comme une forme aboutie de l’art, finit alors par l’emporter. Non, les étoiles visibles à l’œil nu ne sont pas mortes. Mais un coup d’œil avisé dans l’oculaire d’un télescope va s’empresser d’éloigner cette vérité. À bonne distance.
Alain Cirou
Directeur de la rédaction
A quelle distance sont les étoiles ?
Ciel & Espace, numéro d'août
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