Leurs points communs abondent : l’un et l’autre, issus de la bourgeoisie provinciale, montèrent à Paris pour « se faire un nom » ; l’un et l’autre restèrent très attachés aux éléments naturels de leurs terres natales respectives qui leur fournirent de solides sources d’inspirations (la Franche-Comté pour Courbet, la Provence pour Cézanne). L’un et l’autre célébrèrent la Femme à travers une conception subversive du nu (sensuelle chez l’aîné, esthétique chez le cadet). L’un et l’autre, enfin, entretinrent une relation paradoxale avec des intellectuels qui s’intéressèrent à leur art sans pour autant les comprendre : Proudhon vit en Courbet un révolutionnaire puritain qu’il ne fut jamais, mais qui correspondait à sa vision du monde et à son obsession pour la « vertu » ; son essai Du Principe de l’Art et de sa destination sociale trahit cette incompréhension. Zola ne trouva pas chez Cézanne la peinture qui correspondait à son goût et livra dans son roman L’Œuvre un portrait charge féroce que l’artiste peina à lui pardonner.
Si nous ignorons quel regard Courbet aurait pu porter sur le travail de Cézanne, nous disposons, en revanche, d’éléments concernant les sentiments de ce dernier à l’égard de l’œuvre de son aîné ; à titre d’exemple, il tenait Les Baigneuses du Salon de 1853, dont il possédait une copie, comme l’un des tableaux majeurs du XIXe siècle, au point de s’en inspirer dans sa toile Le Baigneur aux rochers (1860-66).
Les deux hommes partageaient, il est vrai, des registres thématiques communs. C’est ce qui est aujourd’hui magistralement mis en évidence dans la belle exposition Courbet/Cézanne, la vérité en peinture organisée au musée Gustave Courbet d’Ornans (Doubs) jusqu’au 14 octobre 2013.
L’exposition aborde ensuite « Le corps et les fruits », deux choix thématiques majeurs des deux maîtres, à travers le traitement du nu et des pommes : Femme nue couchée sur un fond de mer (1868, que Courbet traitera la même année en cadrage serré avec La Femme à la vague), Baigneuses (1870) et Trois baigneuses (circa 1874-75) de Cézanne. Il est, dans cette dernière toile, étonnant d’observer combien le visage de la baigneuse centrale préfigure déjà l’esthétique des Demoiselles d’Avignon ; il est tout aussi intéressant de comparer deux natures mortes d’une taille très similaire, Pommes (circa 1871 pour Courbet, 1878-79 pour Cézanne).
Cette confrontation de deux peintres parmi les plus importants du XIXe siècle qui ouvrirent la voie de la modernité est une première. Jamais auparavant une telle rencontre n’avait été organisée. Voilà qui offre de nouvelles perspectives au champ des recherches – les essais présents dans le beau catalogue (Musée Courbet Editions Fages, 192 pages, 25€) y invitent – et qui présente un réel intérêt pour le visiteur.
Illustrations : Gustave Courbet, Autoportrait, v. 1850, Huile sur toile marouflée, 50 x 40 cm, Besançon, musée des Beaux-arts et d’Archéologie, ©Besançon, musée des Beaux-arts et d’Archéologie / Charles Choffet – Paul Cézanne, Portrait de l’artiste, v. 1875, Huile sur toile, 65 x 54 cm, Paris, musée d’Orsay, ©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski – Gustave Courbet, Environs d’Ornans, 1872, Huile sur toile, 73 x 92 cm, Budapest, Museum of Fine Arts, © Museum of Fine Arts, Budapest – Paul Cézanne, Rochers près des grottes au-dessus du Château-Noir, v. 1904, Huile sur toile, 65,5 x 54,5 cm, Paris, musée d’Orsay, ©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski.