L'arrivée organisée et massive de différents groupuscules d'extrême-droite sur le net français se situe vraisemblablement autour du tout début des années 2000 avec la naissance de deux sites : sos-racaille et radical-web.
Ces sites sont uniquement fréquentés par les membres les plus radicaux de l'extrême-droite qui discutent de thèmes habituels à leur idéologie en des termes extrêmement explicites et condamnables. Ils ont d'ailleurs tenu peu de temps et ont rapidement fermé.
Leur présence sur les forums des grand média français est à l'époque encore peu importante et ils sont mis à l'écart par les autres membres. Leur vocabulaire est encore le même que sur dans leurs lieux consacrés et ils n'ont pas encore appris à policer leurs discours.
Peu à peu, ils ont appris à le faire (je situe cela vers 2004 de manière empirique) et ont très rapidement compris ce que pouvait leur apporter Internet. Ils pouvaient à la fois, aux yeux de tous, via des hébergements étrangers par exemple, dire à peu près ce qu'ils voulaient et fédérer un public qu'ils n'auraient jamais espérer atteindre sur les sites des grand media français.
Leur méthode, d'ailleurs en partie décrite par un ancien militant, est éprouvée.
En premier lieu, ils envoient leur avant-garde, les plus radicaux d'entre eux, les plus racistes, les plus violents. Ceux-ci arrivent avec des discours extrêmement violents et racistes faits à la fois pour choquer mais aussi pour préparer aux discours qui vont suivre. Arrive ensuite l'arrière-garde au discours en apparence plus modéré. Je vous en avais parlé ici. Ces groupes là arrivent avec un discours soigneusement élaboré qui commence par l'idée qu'on "ne peut plus rien dire" et qu'il "faut s'exprimer à mots couverts" car le "politiquement correct est partout". (même discours chez la fachosphère de type Dieudonné et Soral). Ce discours de type "toujours les mêmes" parait beaucoup plus mesuré que le premier discours (qui n'a servi qu'à faire passer celui-là) ; il est sémantiquement pourtant exactement le même ; seuls les mots changent. Et cela fonctionne ; il passe. (et si cela ne fonctionne pas, création d'un pseudo de type Mohamed qui insulte les autres membres à base de "on va violer vos femmes, nous les arabes").
Bien evidemment, ces gens-là ont été formés. Il serait faux de croire que les gens d'extrême-droite se baladent en groupe dispersé sur le net ; tout ceci est pensé en amont comme le dit le lien d'ailleurs.
Ces gens-là vont quasi exclusivement s'exprimer sur les faits-divers. (il aurait été intéressant de faire le même sondage sur la presse en ligne) La presse de son côté en publie de plus en plus car cela n'est pas cher à produire et génère un nombre de pages vues intéressant. La méthodes de l'extrême-droite est toujours la même quand ils s'expriment sur le média ; donner l'impression que le nombre de fait-divers augmente donc l'insécurité. Donner l'impression que les seuls à commettre des crimes sont des gens d'origine immigrée ou immigrée. Donner l'impression que le gouvernement Sarkozy, puis Hollande les excuse voir les absout. Leurs phrases préférées étant "donnez les noms", "toujours les mêmes" "pauvre fRance" "merdia au service de la gauche".
En 5 à 6 ans de présence intensive dans les média (et de blogs assez malins, où ils ont, des années, compilé des faits-divers choquants), la contagion s'est faite. Des gens se sont mis à croire et penser qu'ils avaient peut-être raison. Désormais la quasi totalité des faits-divers dans les média sont commentés via des propos comme ceux que je cite en exemple. Prenons un fait-divers lambda récent où deux mineurs ont frappé une femme de 82 ans. Tout un chacun est bien evidemment choqué mais on n'a au fond pas grand-chose à dire. La culture de "mon opinion est importante" à laquelle se rajoute dix ans de bourrage de crâne d'extrême droite fait que vous aurez en réaction "les mineurs arabes et noirs tapent des blanches de 82 ans et ca sera notre tour, on nous le cache, Taubira les absout".
On pourrait se dire que tout ceci n'est pas bien grave dans la mesure où nous n'avons pas de répercussion directe dans les urnes. Je m'attendais, je l'avoue à un second tour Sarkozy/Le Pen au vu de ce que je lis chaque jour. Je n'avais pas perçu et compris qu'il faut du temps pour convaincre une population de façon massive et que cela se fait de manière diluée et graduelle. Peu à peu les politiques ont posé leurs conseilleurs en com' devant un écran à lire ce qui se passe sur le web. La droite (et la gauche) ont compris qu'il faut parler avec les éléments lus ça et là et que rien n'est plus intéressant électoralement parlant que de donner l'impression d'insécurité pour mieux dire qu'on a les solutions. (en clair dire "qu'on est contre le tabassage des mamies dans la rue" fait recette). Rajoutons à cela l'idée que faire parler de soi à tout prix, en bien ou en mal, est une garantie de longévité politique.
Vous avez ainsi des politiques ; citons en vrac Ciotti, Morano, Boutin (il y en a d'autres) qui reprennent en cœur le discours et les mots exacts de l'extrême-droite en mode "on nous cache tout, on nous dit rien". Quand Vialatte parle de Valls en le nommant "le chimique", il ne fait rien d'autre que reprendre les mots utilisés sur les média en mode "on vous lit on vous comprend"'. Quand il dit que "les casseurs sont surement des descendants d'esclave, ils ont des excuses Taubira va leur donner compensation". Il reprend des thèmes lus tout au long de la journée sur des média français. (il y aurait aussi sans doute à parler de la culture de l'instantanéité et de la quasi obligation à réagir dan s la demie seconde à tout mais j'y reviendrai sur un autre billet).
La gauche et la droite ont continuellement utilisé l'extrême-droite pour arriver à leurs fins et dans le plus parfait cynisme. Nous en sommes désormais au stade où leurs éléments de langage sont repris tant par des gens ne votant pas FN que par des politiques n'appartenant pas à ce camp politique (je lis ainsi régulièrement des termes type fRance ou meRdia chez des gens pourtant très à gauche.. les mots ont un sens ET une histoire...).
Il devient difficile (et nous allons sans doute le constater dans les commentaires) de poser fermement qu'un débat à base d'"islamisation", de "politiquement correct" ou de "on nous cache tout", "les juifs gouvernent le monde" n'a pas lieu d'être et ne nous intéresse pas. Les termes du débat nous sont imposés et ne pas vouloir y répondre fera de nous des "gens qui se leurrent" qui sont "dans la culture de l'excuse" (terme employé par Valls hier). Nous nous retrouvons donc - même pour nous y opposer - à discuter non stop des thèmes de l'extrême-droite.
Les idées et les éléments de langage de l'extrême-droite ont conquis tout l'échiquier politique et ce n'est à mon sens qu'une question d'une dizaine d'années avant qu'elle gagne les urnes.
Je rajoute ici le sondage du jour sur le Point qui assoit ma démonstration. Lorsque j'entends qu'on "ne peut plus rien dire" et que "c'était mieux avant" , je pense à ce type de paroles qui auraient été impossibles il y a 20 ans et qui sont admis. Pourquoi admis ? Parce que la possibilité de les prononcer et d'en parler est possible alors que cela ne serait venu à l'idée que de trois types au crâne rasé il y a 20 ans. Et oui j'affirme que la France est plus raciste qu'il y a 20 ans.
Constatez d'ailleurs que 3 propositions sur 4 considèrent que la parole prononcée peut avoir une quelconque valeur.
Faire paraître ce sondage c'est
- donner de la visibilité à des paroles qui ne devraient pas en avoir. Je suis de celles qui pensent qu'on ne doit jamais faire la moindre publicité aux paroles haineuses même pour les dénoncer. Leur dénonciation oblige à ce qu'on les répète (et vous voyez que je me fais prendre à mon propre piège puisque je participe ici à leur diffusion).
- de la page vue et un bon gros buzz (et avouons que c'est ici le nerf de la guerre et tout le problème du modèle économique des média).
Si Bourdouleix peut se permettre ce genre de phrases (avec un procès à la clé mais peu importe l'idée a diffusé) c'est parce qu'il sait qu'une bonne partie de l'opinion publique est de son côté en se disant que "certes il exagère un peu mais tout de même les roms ils font chier".