Les habitués du blog ont déjà lu ce texte. Il n'est donc remis ici que pour les nouvelles générations de lecteurs. Une saine lecture d'été pour qu'on n'oublie pas comment vivaient nos anciens :-)
Pas sûr que le rédacteur en chef actuel de ce journal ou d'un autre, accepte ce genre de compte-rendu !
On notera l'éclectisme des séries et des millésimes : comme quoi, à table, bien des choses sont possibles niveau mariages mets/vins !
GROSSE EMOTION : UNE OUVERTURE DE CAVEun article publié en son temps dans le quotidien Le Républicain Lorrain par :
Jacques GANDEBEUF © 1985
" Je connais une femme de vigneron qui vit dans la perplexité. Elle voudrait bien savoir comment a fait son mari pour revenir vivant d'une embuscade, mais n'ose pas lui poser trop de questions.
Il est vrai que le mystère est total. Notre ami, qui vit en Bourgogne, a participé tout récemment à un dîner historique lors duquel une vingtaine de compères ont goûté 68 bouteilles de vins !
Et je ne parle pas du champagne qui mit fin à la dégustation.
J'ai bien essayé à mon tour de lui tirer les verres du nez, mais il n'a jamais voulu me dire l'endroit où il s'était rendu. Par contre, il m'a raconté son aventure, qui dura il est vrai, treize heures et trente minutes, montre en main. De l'autre côté de la Saône, c'est tout ce que j'ai appris (ndlr : depuis, nous savons que ce fut à Meursault).
"C'est un copain qui nous avait invités, pour inaugurer sa nouvelle cave. Mais au lieu de consulter un sommelier, il nous avait demandé d'apporter chacun deux ou trois bouteilles millésimées."
Diable, lui dis-je, "c'était beaucoup trop, non ?".
"Pas tant que ça. Réfléchissez bien. Nous étions des gens sérieux. Il y avait même un juge parmi nous. D'ailleurs divisez 68 par treize et demi, ça fait du cinq bouteilles à l'heure. Divisées par 20, il n'y a pas de quoi en faire un plat".
Justement, vous aviez à manger ?
"Bien sûr. C'est un chef trois étoiles qui avait préparé le repas. Et vous allez voir qu'il fut à la hauteur".
Vous n'aviez pas vos épouses ?
"Non, pas de femmes. Pas de service. Pas de cravate. On a parlé que de vin tout le temps".
Racontez-moi ça.
"Eh bien, on a commencé par des toasts à l'apéritif, avec 14 bouteilles pour faire passer :
• un gris de Toul 80
• un gros plant nantais
• un muscadet Sèvres & Maine
• un apremont 81
• un crépy du Léman
• un sancerre blanc 81
• et un autre rouge, de la même année
• un chinon 81
• un macôn rouge 82
• un saint-véran 82
• un pouilly fumé 76
• un vouvray 76
• et un chablis grand cru 77"
Ça devait aller déjà mieux ... ?
"Oui, mais n'oubliez pas que nous étions 20. Pour chaque bouteille, nous n'avions qu'un demi-verre. Pas Plus !".
Et après ?
"Après, eh bien, on a attaqué le cochon de lait".
J'attends la suite.
`"La voici :
• un pouilly fumé 82
• un chassagne-montrachet 78
• un puligny 78
• un pouilly fuissé 78
• un meursault clos du cromin 79
• et un meursault narvaux 79".
Vous deviez avoir faim ?
Oui. On a mangé un foie gras du Périgord".
Ne me faites pas languir ...
"Des blancs, bien sûr :
• un corton charlemagne 79
• un corton charlemagne 72
• château coutet premier grand cru 69
• château d'yquem 71".
Et après ?
"On nous a servi un saumon frais de Norvège à l'oseille, accompagné d'un :
• meursault perrières 79
• meursault genevrières 78
• meursault charmes 79
• un autre, charmes 50
• un autre, goutte d'or 76
• un goutte d'or 71
pour finir avec :
• un bâtard montrachet 71
• un montrachet 73".
Il était peut-être temps de passer au rouge, non ?
"J'y arrive ... On a d'abord mangé une tourte bourbonnaise, et pour faire le trou normand, nous avons bu :
• un beaujolais 82
• un saint amour 81
• un saint joseph 80
• un hermitage 81
• un bandol 75
• un châteauneuf du pape 79
• une côte rôtie 77
• un fleurie 64".
Je suppose qu'alors sont arrivées les choses sérieuses.
"Exactement. Avec le baron d'agneau entouré d'une fricassée de champignons, nous avons attaqué :
• un château lynch-bages 76
• un château pichon longueville 74
• un château ducru-beaucaillou 78
• un château léoville poyferré 76
• un château ausone 79
• un château margaux 77
• un château haut brion 78
• un château latour 78
• un château lafite rothschild 74
• un château petrus 73
• un château cheval blanc 70
Vous aviez peut-être faim ?
"Oui. Alors on a dégusté un sanglier sauce grand veneur, bien soutenu par :
• un cos d'estournel 76
• une petite chapelle chambertin 79
• un latricières chambertin 79
• un ruchotte chambertin 79
• un chambertin 79".
Vous m'en direz tant.
"Ne vous moquez pas ! C'était l'heure des fromages. On a servi avec :
• un corton 72
• un corton 71
• un clos de la roche 70
• un beaune cuvée Nicolas Rollin 79
• un château chalon 73
• un clos de tart 62
• un santenay gravières 47
• un grands échezeaux 70
• un richebourg 49
• un grands échezeaux 47
• un richebourg 47".
Ça doit faire le compte !
"Oui, mais avec le dessert, on a bu du champagne cuvée grand siècle 68".
Dites moi la vérité. Vous n'en aviez pas assez ?
"Non. Très lentement, comme ça, nous avons très bien tenu le coup. Il n'est pas resté un fond de bouteille. Même le château chalon qui n'était pas bon ".
Vous avez eu des préférences ?
"Oui, pour moi, le petrus 73, le gravières 47, le richebourg 49 et le grands échezeaux 47".
Vous avez dû vous amuser !
"Pas tellement ! Nous étions tous des gens sérieux, je vous l'ai dit. Outre le juge dont je vous ai parlé, il y avait le directeur de la romanée conti, et le responsable des vins des Hospices de Beaune".
Pas eu de problème pour rentrer ?
"Non, pas du tout ! Mes réflexes étaient bons et d'ailleurs, on ne croise pas souvent de gendarmes sur nos petites routes. En fait, je vous l'ai dit, nous avions bu très peu.".
Jacques GANDEBEUF © 1985