La Guerre de Sécession commença à cause d’une pression de plus en plus forte pour mettre en place des taxes protectionnistes et favoriser les intérêts du commerce nordiste.
Par David John Marotta et Megan Russell, États-Unis.
En plus de générer des revenus, une taxe douanière limite la capacité des étrangers à vendre dans le marché domestique. Une marchandise étrangère, bon marché ou de bonne qualité, concurrence dangereusement une marchandise locale, chère ou de mauvaise qualité. Mais quand cette taxe fait augmenter le prix de la marchandise étrangère, elle donne à la locale un avantage sur le prix. Le taux de la taxe dépend de l’industrie.
Si la barrière douanière est assez élevée, même une entreprise locale inefficace peut concurrencer une entreprise étrangère très supérieure. C’est le consommateur qui paye cette taxe in fine et les producteurs qui en bénéficient en améliorant leurs profits.
Lors de la Guerre d’Indépendance, le Sud produisait surtout du coton, du riz, du sucre, de l’indigo et du tabac. Le Nord achetait ces matières premières et en faisait des produits finis. En 1828, les produits finis étrangers faisaient face à des taxes d’import élevées. Les matières premières étrangères, cependant, n’étaient pas taxées.
Ainsi, l’industrie du Nord gagnait sur les deux tableaux : comme producteurs bénéficiant de la protection de fortes barrières douanières sur les produits manufacturés, et comme consommateur avec un marché des matières premières libres. Les producteurs de matières premières du Sud devaient se battre contre la concurrence étrangère.
Puisque les biens manufacturés n’étaient pas produits dans le Sud, ils devaient soit être importés ou venir du Nord. Dans tous les cas, que ce soit à cause du coût du transport ou des taxes fédérales, le prix des biens était fortement augmenté, seulement pour les gens du Sud. Dans la mesure où l’import était souvent moins cher que le transport depuis le Nord, le Sud payait la plus grande part des taxes douanières fédérales.
Une grande partie du revenu des taxes provenant des consommateurs du Sud était utilisée pour construire des chemins de fer et des canaux dans le Nord. Entre 1830 et 1850, près de 50 000 kilomètres de voies furent posés. Au mieux, ces voies bénéficiaient au Nord. La plupart n’avaient aucun effet économique. Beaucoup des plans de construction de voies étaient simplement un moyen d’obtenir des subventions gouvernementales. La fraude et la corruption étaient répandues.
Avec la plupart des taxes douanières collectées dans le Sud puis dépensées au Nord, le Sud se sentait à juste titre exploité. À l’époque, 90% du revenu annuel du gouvernement fédéral provenait de ces taxes sur les importations.
Dessin humoristique dessinée pendant la Crise de Nullification (1832) et montrant les industriels du Nord prenant de l'embonpoint au dépens du Sud s'appauvrissant, à cause des barrières douanières - Encyclopedia of Britannica.
Les historiens Paul Collier et Anke Hoeffer ont montré que quelques facteurs augmentent la probabilité d’une sécession dans une région : salaires plus faibles, économie fondée sur les matières premières et exploitation externe. Bien que les films grand public insistent sur l’esclavage comme cause de la Guerre de Sécession, celle-ci correspond plus à un modèle psycho-historique voyant le Sud se rebeller contre l’exploitation du Nord.
Beaucoup d’américains ne le comprennent pas. Un marchant sudiste, qui ne posséderait pas d’esclave, courroucé par la proposition d’une énième barrière douanière n’est pas une scène incontournable pour un film. Ce serait cependant plus proche de la cause originelle de la Guerre de Sécession qu’aucune scène montrant des esclaves récolter du coton.
Morrill Tariff Cartoon, dans le Harper's Weekly du 13 avril 1861 disant : ''La nouvelle taxe sur les biens secs''.
Les conditions malheureuses du Nerf Optique d'un Agent des Douanes qui a compté les trames dans mètre de tissu afin d'évaluer la taxe due à la nouvelle loi Morrill. Les taches lumineuses et les éclairs sont des symptômes ophtalmologiques bien connus. Il est probable que le malheureux homme devienne aveugle.
L’esclavage était en effet sur le déclin. Les esclaves passant en Angleterre étaient libres selon les Courts en 1569. La France, la Russie, l’Espagne et le Portugal avaient interdit l’esclavage. L’esclavage avait été aboli partout dans l’Empire britannique 27 ans plus tôt grâce à William Wilberforce. Aux États-Unis, le transport d’esclaves avait été mis hors-la-loi 53 années plus tôt par Thomas Jefferson dans l'"Act Prohibiting the Importation of Slaves" (1807) et l'"Abolition of the Slave Trade Act in England" (1807). L’esclavage était une institution répugnante en train de mourir.
La réécriture de la Guerre de Sécession commence avec Lincoln, dans une brillante manœuvre politique pour rallier l’opinion. Le problème de l’esclavage fournissait une accroche émotionnelle, contrairement à l’oppression du Sud par des taxes douanières douloureuses. L’atrocité du diabolique esclavage masquait la souffrance économique que le Nord infligeait au Sud.
La situation du Sud aurait pu être une attaque légale légitime, mais aurait perdu le soutien du jury lorsque les témoignages à propos des défaillances morales du défenseur furent admis dans les procédures légales. Vers la fin de la guerre, Lincoln développa le conflit principalement comme une guerre contre la continuation de l’esclavage. Ce faisant, il fit taire avec succès le débat économique et sur les droits des États. La revendication principale des États sudistes étaient les barrières douanières. Bien que l’esclavage était un facteur du déclenchement de la Guerre de Sécession, ce n’était ni le seul, ni la cause première.
La taxe de 1828, appelée la Taxe des Abominations dans le Sud, était la pire des exploitations. Elle passa au congrès par 105 voix contre 94 mais perdit parmi les membres du Congrès originaires du Sud. Le Sud affirmait que favoriser une industrie sur une autre était inconstitutionnel.
Le South Carolina Exposition and Protest, écrit par le Vice-Président John Calhoun prévenait que si la taxe de 1828 n’était pas annulée, la Caroline du Sud ferait sécession. Il citait Jefferson et Madison comme précédent pour qu’un État ait le droit de rejeter ou de nullifier une loi fédérale.
Dans un discours de campagne de 1832, Lincoln définit sa position en disant : "Ma politique est courte et douce, comme la danse d’une vieille femme. Je suis en faveur d’une banque centrale… en faveur d’un système d’amélioration intérieure et de taxes douanières très protectrices." Il était fermement contre le libre marché et en faveur de l’utilisation du pouvoir du gouvernement fédéral au bénéfice de certaines entreprises, comme sa préférée, Pennsylvania Steel.
Le pays expérimenta une période de taxes plus faibles et une croissance économique dynamique entre 1846 et 1857. Puis une faillite bancaire entraîna la Panique de 1857. Le Congrès en profita pour commencer à discuter une nouvelle taxe douanière, plus tard nommée le Morrill Tariff of 1861. Cependant, ces débats furent la cible d’une telle hostilité de la part du Sud que le Sud fit sécession avant que la loi ne passe.
À l’origine, le Sud ne fit pas sécession à cause de l’esclavage. Dans son premier discours d’inauguration, Lincoln promit qu’il n’avait pas l’intention de modifier l’esclavage au Sud. Il expliquait que ce serait inconstitutionnel de sa part. Mais il promit qu’il envahirait tout État qui ne réussirait pas à collecter ses taxes, afin de les appliquer. Ce fut reçut, de Baltimore à Charleston, comme une déclaration de guerre au Sud.
L’esclavage était une pratique odieuse. C’est peut-être la cause qui réunit le Nord afin de gagner. Mais ce n’était pas la raison primaire pour laquelle le Sud fit sécession. La Guerre de Sécession commença à cause d’une pression de plus en plus forte pour mettre en place des taxes protectionnistes et favoriser les intérêts du commerce nordiste et chaque foyer sudiste en paya le prix.
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Sur le web. Traduction : P.-Y. Jama/Contrepoints.