Quand je revois le visage pâle, infiniment triste et néanmoins enjoué de Florence, peu après l'accident mortel de son fils en scooter, la semaine dernière, je ne peux m'empêcher de penser au dernier mouvement du quatuor à cordes No 15, KV 421 de Wolfgang Amadeus Mozart, qui mieux qu'aucune autre oeuvre au monde restititue l'infini de l'isolement, de la douleur et d'une inéluctable désintégration intérieure, sous une apparence joviale. A juste titre, Jean-Victor Hocquard parle d'une lourde et vague anxiété, plus pénible que ne serait un pathos déclaré. On y trouve un aspect des plus impressionnants - des plus authentiques aussi - du Maître: la solitude, l'impossibilité, voire l'inutilité de toute communication, la déréliction...
On devine, dans ce Allegretto ma non troppo, ce qu'on retrouve dans d'autres quatuors ultérieurs: cette mélodie des profondeurs où la lumière peine à traverser les abîmes, d'une douceur irréelle ou mieux, détachée, retirée du monde, malgré ses élans embarrassés, comme à bout de souffle. Mais si j'ai pensé à cette oeuvre en face de notre amie Florence - plutôt qu'aux pages poignantes d'un Gustav Mahler ou d'un Piotr Ilitch Tchaïkovski - c'est qu'elle condense en moins de dix minutes la précarité de l'existence, sa beauté, sa douleur, son mystère. L'espérance aussi, au final. Brigitte et Jean Massin notent: Ce quatuor finit sur un refus de quitter une partie jouée d'avance; il laisse le dernier mot, sans réconfort et sans calcul, au courage.
Et Fred, si on est bien loin d'une voie royale ouverte au triomphe de la vie sur la mort, tout n'est pourtant pas perdu, et le temps sait faire le reste, parfois, ne guérissant pas ou peu les blessures, mais leur conférant une tonalité particulière que le regard, débarrassé de ses masques, inonde d'une clarté si particulière et bouleversante, tout alentour...
Brigitte et Jean Massin, Wolfgang Amadeus Mozart (coll. Les Indispensables Musique/Fayard, 2006)
Jean-Victor Hocquard, Mozart (coll. Solfèges/Seuil, 1994)
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Wolfgang Amadeus Mozart, String Quartet No 15 in D minor, KV 421 - IV. Allegretto ma non troppo (Quatuor Mosaïques)