Quatrième de couverture :La naissance ne saurait être biologique : on choisit toujours ses parents. Naître, c'est semer ses géniteurs. Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Laisser son sang derrière, s'affranchir de ses gènes. Chercher, trouver d'autres parents : spirituels. Ce qui compte, ce n'est pas la mise au monde, mais la mise en monde. Naître biologiquement, c'est à la portée du premier chiot venu, des grenouilles, des mulots, des huîtres. Naître spirituellement, naître à soi-même, se déspermatozoïder, c'est à la portée de ceux-là seuls qui préfèrent les orphelins aux fils de famille, les adoptés aux programmés, les fugueurs aux successeurs, les déviances aux descendances. Toute naissance est devant soi. C'est la mort qui est derrière. Les parents nous ont donné la vie ? A nous de la leur reprendre. Le plus tôt possible.
Extrait J'allais naître. Pour moi, l'enjeu était de taille. Si c'était à refaire, je naîtrais beaucoup moins - on naît toujours trop. - Il surnaît ! s'était indigné mon père à ma sortie des viscères maternels. On devrait arriver en silence, faire son entrée sur la pointe des pieds. Se faire oublier d'avance. On n'est jamais si prétentieux qu'en naissant. Il n'y a pourtant pas de quoi : mon père, lassé par un jeu télévisé où des vachettes locales entraient en excitation sous les huées d'un parterre de campeurs méchants, s'était dirigé, braguette ouverte, vers la salle de bains où ma mère glissait du fil dentaire entre deux douloureux chicots. Il avait soulevé le tulle de sa nuisette rose praline, s'était frayé un passage dans la pilosité de sa femme puis, entre deux râles de marcassin balancé sur une ligne haute tension, avait dégoisé des insanités en la secouant comme un flipper. Mouillé comme une éponge, rouge comme un chasseur de perdrix compressé dans son gilet après une dégustation de pomerol, il vérifia l'exagération de ses propres grimaces dans la glace, propulsa dans les entrailles de ma mère changée en cyclotron un jet de spermatozoïdes fusant à la vitesse des quarks, puis s'affaissa sur elle tel un figurant de film de guerre au coup de sifflet. Il était minuit. - Il surécrit ! s'était scandalisé mon père à la sortie de mon premier roman. Je ne comprends pas qu'on ait pu donner le Goncourt, même des bacs à sable, à une telle surenchère d'outrancières épithètes ! Nul. Zéro. À dégager ! Qu'on ne compte pas sur ma mansuétude, ni sur ma pitié, pour ranger cette cagade dans ma bibliothèque. Cela contaminerait les vrais livres qui s'y tiennent, eux, avec la dignité requise. Si j'étais critique littéraire, fils ou pas fils, je lui aurais brisé les dents. Balancez-moi ça dans la poubelle ! Nous avons pour habitude, dans cette maison, de ne point faire collection de produits avariés. Cet écrivain nul, cher lecteur, vient d'achever le livre que tu tiens entre les mains - ce livre est épais, glanduleux, visqueux, radical, oblong, coupant, muni de poils étoiles, il est (grossièrement) denté, il est purpurin, jaune pâle, tube, il est bracté, il est cilié. - Je te fourre mon billet que vous ne le terminerez pas, messieurs mesdames, ce roman ! ricana mon père. Il est des écrivains autrement plus urgents à lire que les diarrhées de cette espèce d'imbécile. D'ailleurs, la critique est unanime, voire unanimissime, pour crier que ça sent le navet.
Après trois essais de mauvais goût, Yann Moix, fasciné par Yann Moix (il ne partage, au monde, ce triste privilège qu'avec lui-même), revient avec un roman autobiographique qui se voudrait grand, mais qui, in fine, n'est que gros. Revenant à cette enfance qui ne nous intéresse pas, la sienne, il multiplie les effets, abuse des facilités, sollicite toutes les redondances pour nous infliger, nous qui étions déjà depuis longtemps affligés, les interminables délires d'une prose qui se voudrait poétique, mais ne parvient dans le meilleur des cas (sans le vouloir) qu'à être pathétique. Nous recommandons à cet auteur (tout vaut mieux que de le qualifier d'écrivain) de persister dans le cinéma, art qui se prête plus judicieusement à la vulgarité de ses dons. Car il a des dons, Yann Moix, au premier rang desquels, celui, parce que nous veillons en ces colonnes à rester polis en toutes circonstances, de nous agacer.
Gilbert-Alain Néhant, Le Libre Lombric du 27 août.
Pauvre petit Moix, pauvre petit chimpanzé. Que faire de ce gars ? Il est perdu pour la littérature, n'est-il pas ? Tellement perdu tout court, verbiage à la main, colère au cou, prêt à vomir la terre entière, lui si minuscule, si ridicule, si chose en «ule», si ventricule, si tubercule, j'oserais dire si pustule. Si vérule et si pédoncule. Nous le vomissons.
Jean-Flegme Anonyme, Viande magazine du 1er septembre.