Hollande, ravi de la crèche ?

Publié le 22 juillet 2013 par Juan

L'hebdomadaire Marianne (1) titre sur François Hollande, "ravi de la crèche" dans son édition du 20 juillet. Notre président serait un insupportable optimiste, déconnecté de la gravité du monde réel, insuffisamment actif, et manquant du charisme napoléonien qui sied à la fonction présidentielle.
Fichtre.
La charge est facile, presque crédible, parfois insupportable. 
1. Première accusation, il serait auto-satisfait. Est-il sûr de confiant dans son action ? Assurément. Est-il optimiste ? Autant qu'on peut l'être. Est-il convaincu d'avoir raison ? On peut l'espérer. Mais là n'est pas seulement le reproche de Marianne. Il serait le ravi de la crêche ? C'est-à-dire quelqu'un aussi heureux d'être là qu'indifférent au sort de ses concitoyens, aussi satisfait de sa situation qu'il sous-estime, ignore, ou nie l'ampleur des difficultés, des souffrances, des obstacles des autres.
2. Seconde accusation, Hollande ne fait pas assez leader. Il "surfe". Ce n'est pas tant son action que sa posture qui dérange. "Il ne porte pas le costume, le costume le porte". Certes, l'hebdo se défend de réclamer un Napoléen de pacotille. Mais il résume son avis d'une formule belle mais creuse: "Il va là où il est." Car "Hollande ne projette pas. Ni sa personne, ni ses idées." Marianne, hebdo du débat républicain, réclame sans le dire un Napoléon de pacotille. L'antisarkozysme a-t-il fait trop de ravages ?
3. Troisième accusation, "Hollande ne fait pas grand chose (et donc rien de vraiment mal)".
 L'hebdo loue quelques initiatives, "la fin du cumul des mandats, l'instauration du principe de transparence, voire l'accord sur la flexibilité de l'emploi", mais l'actuel président serait immobile, l'agitation sarkozyste en moins.
4. Quatrième accusation, celle qui porte le mieux mais qui est aussi la plus faiblement développée: Hollande croit qu'un retour à la croissance suffira. Son appel à la "reprise" qui "est là", ce 14 juillet, était étonnant. Non pas tant que la reprise ne soit pas là. L'important est ailleurs: la croissance, au sens de ce modèle qui a porté le développement du monde du monde dit moderne est à bout. Cette crise, la Grande Crise, est autre chose qu'un soubresaut temporaire. Hollande est ainsi fidèle et cohérent avec l'immense majorité de la classe politique, du monde médiatique (Marianne compris), de la société entière. Le dieu Croissance a encore trop d'adeptes.
Bref, Hollande serait heureux, sans charisme et inactif... Fichtre... 
En fait, Marianne prend l'écume pour le fond, confond l'agitation médiatique à laquelle nous participons tous avec les innombrables réformes, bonnes ou mauvaises, que ce gouvernement conduit depuis un an. L'article, d'ailleurs, effleure le problème.
Le débat politique ne joue plus son rôle. Le commentaire médiatique non plus.
On préfère ruminer le sort de 20.000 gens du voyage - un sujet de feuilleton médiatique ô combien précieux pour une fraction de la gauche et une droite déboussolée (2) - plutôt que de s'acharner à analyser et réfléchir sur les 141.500 personnes, dont 30.000 enfants, sans domicile en France. On adore grossir les sinistres a-côtés d'une catastrophe ferroviaire plutôt que de s'interroger sur les plus grandes difficultés d'accès à l'alimentation en France. On en fait des caisses sur une ministre limogée, le nouveau timbre de Marianne, ou la dernière petite phrase politique du jour. Nos enquêteurs et blogueurs des temps modernes passent davantage de temps à scruter le plus grotesque de Twitter qu'à dépouiller les projets de loi. Considérez l'incroyable débauche d'énergie à commenter comment Hollande a "rompu" sa promesse en rencontrant des députés socialistes, voire, pire, des responsables de la majorité ! Qui peut croire que les Français s'en soucient ?
Imaginez que nos médias s'emploient avec la même persévérance, le même souci du détail, la même énergie de répétition à enquêter sur tous les ressorts et conséquences de la loi Duflot, sur la réforme des aides aux étudiants, sur le CICE (dont on "découvre" aujourd'hui qu'il sera insuffisamment contrôlé). La plupart des mesures du quinquennat ont été évacuées par paresse ou facilité, subjectivité ou a priori.
Où est passé cette persévérance à fouiller, révéler, détailler les (mauvaises) réformes que nous avions en Sarkofrance ?
Prenez même la loi bancaire. Cette dernière, qui vient d'être votée, a fait l'objet d'un service plus large que d'autres. Et pourtant, quel massacre ! Le débat fut vorace mais finalement en surface: il s'est d'abord immédiatement attaché à attaquer le renoncement du gouvernement avant-même que la loi ne fut débattue. Ce procès était d'abord d'intentions. Pierre Moscovici ne devait pas réussir puisqu'il était "mouillé". La Hollandie comptait trop de "compromis" en son sein. Lors de son passage à l'Assemblée, le dialogue sembla de sourds. Il y avait ceux qui se réfugiaient derrière une formule de campagne ("mon ennemi, c'est la finance") pour fustiger la loi car elle ne démembrait pas nos banques. Qui mesure l'incroyable délabrement du débat public qui fait rendre des "slogans" de campagne pour des lois ? Aurait-on pu débattre d'alternatives ? En juillet, neuf mois après les premiers débats, la loi est définitivement adoptée. Mais nos médias (sauf Marianne, Politis ou le Monde Diplomatique) en sont à compter le nombre de smartphones dérobés en marge d'une catastrophe ferroviaire.
La faute des médias ? L'accusation est ancienne et facile, mais elle se justifie chaque jour. Nos médias se jettent sur le futile s'il présente bien; préfère le sensationnel s'il se vend facilement. Nos médias traitent mal le monde qui nous entourent.
Marianne pourrait marquer des points en fustigeant la "tentation sociétale", c'est-à-dire réduire l'action gouvernementale à l'amélioration de nos libertés publiques (mariage gay, égalité Femmes/Hommes) aux détriments d'une politique sociale d'envergure. Le mariage gay a obscurci l'actualité gouvernementale du début du quinquennat. Mais il suffisait d'être attentif.
Marianne pourrait marquer des points en se faisant l'écho, comme elle l'a fait parfois, des critiques "de gauche" contre la politique gouvernementale. Mais louer l'un des accords les plus inutiles et certainement politiquement néfaste qu'est celui sur la flexibilité de l'emploi comme l'une des rares réelles mesures de cette équipe est assez surprenant. Ne refaisons pas le débat, mais ce dernier a été ô combien incomplet. Qui peut croire que les entreprises n'embauchent pas à cause des rigidités du marché de l'emploi ? Analyser ces prétendus "obstacles" auraient été un joli dossier.
Hollande énerve la droite sarkozyste pour deux raisons: cette dernière ne tolère pas la défaite, les procès outranciers et séditieux contre la légitimité de l'élection de 2012 en sont une triste illustration. Et elle s'agace qu'il puisse réussir sur les terrains où elle réclame une supériorité historique indue, la sécurité et la maîtrise des comptes.
Hollande désespère une gauche qui préfèrerait une autre relève qu'elle ne sait pourtant pas qualifier précisemment.
Hollande est en passe d'accomplir une révolution, la seule qui lui tient à coeur pour quiconque suit avec un peu d'honnêteté son parcours, une "juste"  remise en ordre des comptes publics. Une telle ampleur n'a jamais eu lieu en France depuis la guerre. La loi de finances rectificative de juillet 2012, puis la loi de finances 2013 ont rééquilibré d'environ 37 milliards d'euros le budget annuel de l'Etat. On pourra juger cela insuffisant (cf. nos agences de notation ou la Commission Bruxelloise), injuste (la droite, la gauche), austéritaire (la gauche), mais cet effort est réel et inédit.
C'est de l'équilibrisme. C'est évident.
Mais c'est tout sauf anodin.
Lire aussi:
  • Le TumblR du Hollande-bashing.
  • Marianne, édition du 20 juillet 2013, en kiosque (y compris numérique)

(1) qui héberge le blog Sarkofrance, saison 2.
(2) Nulle envie ici de minorer les difficultés des gens du voyage, mais simplement de remarquer l'écart de traitement entre un phénomène massif - le mal logement - et un autre aux contours plus restreints.