La nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste évoque d’emblée, par son esprit, la fameuse « Ligne Maginot » dressée aux frontières de l’Est du pays par l’armée française pour faire face à une éventuelle invasion allemande dans l’entre-deux-guerres : elle est dépassée avant même d’avoir servi. La déception est à la hauteur des attentes pour tous ceux qui espéraient depuis longtemps l’inscription de cet aggiornamento doctrinal dans le marbre du socialisme français.
Or il y a là un paradoxe. Comment se fait-il qu’au moment où le Parti socialiste réalise, enfin, ce qui est attendu de lui depuis des années par nombre de militants, élus, sympathisants, camarades étrangers ou simples observateurs, le texte proposé par sa direction apparaisse à la fois comme d’ores et déjà obsolète mais également comme si peu enthousiasmant et, pour tout dire, aussi insipide ?
Il semble d’abord que cette nouvelle déclaration de principes arrive trop tard, beaucoup trop tard. Elle aurait sans doute pu paraître audacieuse et aurait certainement suscité débat et intérêt si elle avait été proposée au début des années 1990 par exemple. Prenant acte de la fin du communisme et de l’entrée dans un monde aux préoccupations renouvelées (environnementales notamment), elle aurait permis d’identifier quelques-unes des tâches nouvelles du socialisme et de la social-démocratie à l’aube du XXIe siècle – à la manière dont le soulignait un siècle plus tôt Eduard Bernstein, l’un des pères du réformisme. Mais en 2008, cette déclaration ne propose, au mieux, qu’une sorte de bilan idéalisé d’une action gouvernementale désormais lointaine à laquelle les socialistes semblent se raccrocher désespérément tant elle leur permet de se déclarer « tous réformistes » sans même avoir à y penser.
Or un tel texte devrait non seulement proposer une relecture honnête et responsable du passé mais encore permettre à tous ceux qui se reconnaissent dans une gauche pleinement de son temps de se projeter dans l’avenir en ouvrant des pistes nouvelles, en dégageant des grands principes d’action et des valeurs distinctives face aux défis du monde tels qu’ils se profilent pour les décennies à venir. Il devrait donc y être question à la fois de stratégie, de prospective et de combat ; permettant de saisir à bras-le-corps les défis du temps pour leur apporter des réponses nouvelles, originales et… socialistes – en apportant au passage une nouvelle définition du terme lui-même qui manque cruellement, sous les traits d’un social-réformisme assumé par exemple.
Las, le texte présenté s’apparente plutôt à une sorte de dictionnaire des idées reçues de la pensée des années 1990-2000. Le tout écrit dans une langue dont on sent bien qu’elle a été passée au tamis des molles exigences des divers courants et sensibilités du parti durant de longues séances de sémantique socialiste. Les « idées » et les mots semblent ainsi avoir été pesés au trébuchet des différentes chapelles représentées dans les instances de direction du PS : un peu de réformisme pour plaire aux experts, une pincée de radicalisme pour satisfaire les orthodoxes et un brin de socialisme gouvernemental pour combler les anciens ministres ; sans oublier la bienséance écologiste désormais de rigueur et l’invocation des mânes républicaines sans lesquelles il n’y aurait pas de doctrine politique française digne de ce nom.
Bref, il s’agit là malheureusement d’un exercice conforme en tout point conforme à ce qu’a produit le socialisme français depuis des années et dont le débouché est une conséquence inévitable de ses conditions mêmes d’élaboration : un replâtrage en urgence après une défaite cuisante à l’élection présidentielle par une direction vieillie, usée et fatiguée dont l’ambition « rénovatrice » n’est qu’un cache-misère. Et la victoire récente aux élections municipales plutôt que d’infirmer ce constat pessimiste n’a fait que le confirmer tant la célébration bruyante de celle-ci a été inversement proportionnelle à la conscience des élus de l’avoir obtenue par la grâce d’un pouvoir sarkozyste au plus mal à peine moins d’un an après son avènement.
Aussi peut-on s’interroger, en conclusion, sur la portée d’un tel texte notamment dans la perspective du congrès du PS qui aura lieu au mois de novembre, et de la suite, jusqu’à l’élection présidentielle de 2012 déjà dans toutes les têtes quoiqu’en disent les uns et les autres. Si la nouvelle déclaration de principes tombe autant à plat, c’est sans doute aussi parce que l’enjeu doctrinal qu’elle devrait normalement représenter pour un grand parti dont la vocation est le pouvoir d’Etat n’intéresse pas les principaux acteurs du jeu partisan que sont les candidats potentiels à la candidature présidentielle. Ils sont tous préoccupés par un bien plus grand dessein, eux-mêmes.