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Le vin et ses mots

Publié le 26 avril 2008 par Savatier

 Voici un livre savoureux qui fera le bonheur des amateurs de vin comme des professionnels, des amoureux de la langue française comme des curieux. Un livre digne de figurer dans une bibliothèque entre le Grand dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas et l’extraordinaire catalogue des ouvrages traitant « du boire et du manger en Europe, de l’antiquité à nos jours » établi par Gérard Oberlé, intitulé Les Fastes de Bacchus et de Comus (645 pages, Belfond, 1989). Il s’agit du Dictionnaire de la langue du vin de Martine Coutier (476 pages, CNRS Editions, 30€).

Cet ouvrage prouve que la relation entre le vin et la langue ne se limite pas à l’organe gustatif, elle s’étend au langage. Les mots naissent, évoluent au gré du temps, se multiplient pour permettre à chacun de décrire les sensations que le produit de la vigne procure. Il en est des vins comme du reste, certains sont petits, mais agréables – de ces « vins de soif » dont parlait Jean Carmet comme personne – d’autres de piètre qualité ou dénués de personnalité, d’autres enfin qui tutoient le statut d’œuvre d’art.

Parler du vin en termes précis n’est ni une affaire d’initiés ni un travers de cuistre, c’est avant tout le plaisir de partager ses impressions avec d’autres amateurs, dans le souci de se montrer le plus exact possible ; la langue offre une richesse insoupçonnée pour atteindre ce but (il n’y a pas moins de 780 entrées dans ce dictionnaire). Les

métaphores anthropomorphiques et hautes en couleur foisonnent au fil des pages, des métaphores où l’anatomie côtoie l’hédonisme dans une belle harmonie. Ainsi, un vin peut-il avoir « de la cuisse » ou « du corsage », il peut être « décharné » ou avoir « de l’ossature », on le trouvera « couillu » ou « noble ». Les verbes ne manquent pas à l’appel, qui séduisent et surprennent par leur originalité musicale. Tour à tour, le vin chardonne, champignonne, il renarde, gouleye, meursaulte et terroite ; il picote, pinote, il morgonne et il truffe, il muscate, ranciote, tuile, sauvignonne, enfin, il a de la moustille. C’est aussi beau qu’un poème d’Henri Michaux.

Le vocabulaire permet d’échapper à la banalité et d’exprimer son plaisir (ou son déplaisir). C’est aussi, naturellement, une affaire de culture. Je me souviens d’un dîner donné en Angleterre, il y a quelques années, par un hôte qui possède une cave plus qu’enviable. On y avait servi des vins remarquables, notamment un Chablis grand cru (bien nommé Vaudésir) tout à fait étonnant. J’eus l’idée saugrenue de demander à mon voisin de gauche – un homme d’affaires scandinave de haut niveau – comment il le trouvait. Après avoir réfléchi quelques secondes, il me répondit : « blanc » ! Il était parfaitement sérieux, car ses (p)références culturelles, tout à fait respectables, le portaient davantage vers la bière et les spiritueux. Confronté à un vin, les mots lui manquaient.

Pour réunir toutes les entrées de son dictionnaire, Martine Coutier, linguiste au CNRS, s’est livrée à un véritable travail de chartiste, allant les débusquer aussi loin que le XIIe siècle. Ses explications sont claires, riches, érudites, mais aucunement ennuyeuses. Elle n’hésite pas à donner, pour chaque entrée, des exemples de l’usage du mot, qu’elle va puiser jusque chez Rabelais. Dans l’abondante bibliographie qui figure en fin d’ouvrage, à côté de livres et de revues spécialisés, on découvre Jacques Amyot, Pierre Desproges, Erckmann-Chatrian, François Mauriac, Ramuz, Sainte-Beuve et François Villon. On ne saurait se trouver en meilleure compagnie. Il y a dans ce dictionnaire, le lecteur le sent à chaque page, une somme de connaissances et beaucoup d’amour ; rien d’étonnant à cela : l’auteur est aussi présidente de l’Association culturelle Œnologique Franc-Comtoise.

A l’heure où les groupes de pression hygiénistes et les tenants de l’idéal ascétique tentent de diaboliser l’alcool en général et le vin en particulier, voire de faire croire (ce qui est parfaitement faux, il suffit d’avoir eu la chance de voyager hors de nos frontières pour l’avoir constaté) que les Français seraient les plus grands consommateurs d’alcool d’Europe, sinon de la planète, le Dictionnaire des mots du vin conduit le lecteur dans un monde de sensations et de plaisirs dont il serait dommage de se priver. L’écrivain Jean-Claude Pirotte l’exprime très justement dans la préface de ce dictionnaire :

« Le vin aussi, nous impose des obligations multiples, au nombre desquelles un devoir absolu : celui de résister à la banalisation du monde, aux lois perverses de l’utile et du négoce, au despotisme sournois de la langue unique et au laminoir de la pensée. S’efforcer de traduire les cadences musicales de la parole du vin est un acte de résistance, et une contribution vitale à la primauté et à la liberté de l’esprit. »

Illutrations: Le Caravage, Bacchus - Vermeer, Le verre de vin.


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