Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 20 juillet 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

 Il s’achète une glace.  La savoure comme si c’était la première de sa vie – la dernière peut-être –, la lape comme si la peau de Sarah se tenait dans ce cône.  Sa gorge goûte l’extase de la fraîcheur parfumée, comme une ambroisie, comme si chaque bouchée le transformait en dieu.  Il ne se souvient plus de sa première glace : ici les enfants goûtent au café et aux gelati avant même d’avoir l’âge qui leur permettra de s’en souvenir plus tard.  Sûrement sa mère, en plein été, jupe légère sur ses jambes bronzées, lui avait mis sous le nez une boule colorée et froide dont le parfum lui avait fait cligner les yeux, froncer le nez – mais quel est ce délice ?

Il ne sait plus.  Indifférent, il essuie les regards curieux des gens.  Il plisse les yeux à chaque bouchée, marmonne un petit mmm… de satisfaction en faisant claquer sa langue, tout cela en marchant.  Il a l’air fou, il a l’air d’un enfant.

Il croque la gaufrette, se lèche les commissures.  L’espace d’un instant, il se sent en vie.  N’existe que la saveur dans sa bouche.  Il n’est que bouche.  Sa peau, les coups, sa décision, Sarah : tout cela s’efface derrière le plaisir.  Il sourit béatement, jette la petite serviette en papier qui entourait la glace et retourne au réel.  Son sourire retombe, plombé, comme après un rêve merveilleux qui fait regretter le sommeil – on veut y replonger, mais cela se révèle impossible, alors ne restent que des lambeaux de bonheur, ternis par la confrontation avec la vraie vie.

La gorge encore empreinte de la saveur légère, il continue sa déambulation dans la ville et laisse ses souvenirs s’éparpiller au gré de sa marche, comme s’il désirait être vide de tout, être à peine une enveloppe charnelle qui marche, seulement ça.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deuxrecueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai(Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)