L'Evangile du bourreau de Gueorgui et Arkadi Vaïner

En 1953, Pavel Egorovitch Khvatkine est un membre influent de MGB (ancêtre du KGB). Il assiste ainsi à la mort de Staline et à son autopsie. 25 ans plus tard, sous l'ère Brejnev, Pavel est un paisible professeur de droit. Mais un matin, alors qu'il se réveille avec un puissant mal de tête lié à une soirée trop arrosée, il prend conscience qu'il est suivi. Dans le même temps, sa fille, avec laquelle il n'a que très peu de liens, demamde à le rencontrer. Elle a besoin de son autorisation pour se marier avec un étranger. Un juif israèlien d'origine que Pavel surnommera Mangouste. Très vite il comprend que pour Mangouste le mariage n'est qu'un prétexte, ce qui intéresse ce dernier, c'est le passé de Pavel, quand il travaillait pour les services secrets soviètiques. Petit à petit ses souvenirs reviennent à la surface et on se retrouve plongé au coeur de l'un des plus grand crinme de l'ère stalinienne, le complot des blouses blanches, qui avait pour but d'éradiquer toue que le pays comptait comme médecins et scientifiques Juifs. L'instigateur en aurait été Pavel.

La mèthode des frères Vaïner qui consiste à introduire des personnages fictifs pour aller au coeur de la vérité historique fait immanquablement penser à Ellroyet sa trilogie "Underworld USA". De fait, les frères Vaîner en sont proches, d'autant plus que comme le génie américain ils progressent par petites touches mystèrieuses, d'une écriture sobre et efficace.

"L'Evangile du bourreau" est un immense roman à plusieurs titres. Littéraire d'abord, tant les procédés narratifs, mélangeant, fiction, histoire, passé, présent, sont novateurs et intelligents. Historique surtout, parce qu'ils nous donnent à voir un comparatif passionnant entre la période brejnévienne (ne pas oublier que le roman est écrit entre 1976 et 1980 et se situe dans cette époque) et la période stalinienne. On sent bien que pour les frères Vaïner, il y a un peu plus de liberté sous Brejnev, le simple fait qu'une enquête sur Pavel puisse être menée en atteste.

Cependant, la grande force de ce roman est de nous faire replonger au coeur d'un évènement mal connu, que le règime soviétique a tout essayer pour le faire oublier. Le fameux complot des blouses blanches, où un groupe de médecins Juifs fut accusé à tort et sans preuves d'avoir voulu assassiner deux dignitaires du règime et d'avoir projeté d'en éliminer d'autres. Ce sont tous les Juifs de la profession qui vont être visés. Ce nouveau pogrom ne prenant fin qu'avec la mort de Staline et l'arrivée au pouvoir de Khrouchtchev.

Pavel Khvatkine est un immense criminel, un salaud pour employer le mot juste. Pourtant, en le choisissant comme narrateur, les autres nous montrent la complexité de l'époque. On entre au coeur du MGB, un système où tout le monde surveille tout le monde et où le seul moyen de survivre et de dénoncer ceux qui vous sont proches. Pavel excelle dans cet exercice, raison pour laquelle il survivra. Ce que l'on découvre aussi, c'est que dans la nation qui s'enorgueillait d'avoir vaincu presque à elle seule le nazisme, qui avait libéré les Juifs des camps de concentration, sévissait un antisémitisme puissant au niveau des élites politiques du pays, au moins aussi puissant que celui qui régnait à Berlin au début des années 30.

Il faut lire ce livre,  parce qu'il permet de comprendre l'histoire de l'Union Soviètique, mais aussi la Russie actuelle. Mais il fait surtout le lire parce que c'est un grand roman, un livre destiné à devenir un grand classique.