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S'identifier à l'artiste qu'on aime jusque dans les moindres recoins de sa vie, se vêtir comme lui, manger comme lui... Carlos Gutierrez est dans la peau d'Elvis. Ce quadragénaire travaille à l'usine, habite un taudis sombre, est séparé de sa femme et père d'une petite fille, accessoirement.Car tout ce qui semble lui donner un réel souffle de vie provient de sa passion pour le grand maître du rock, son idole. Jusqu'à en perdre haleine à force de dédoublement, d'imitation. Notre héros triste écume les salles de bal, les mariages et les cabarets de banlieue, en Argentine.Il chante avec une voix d'or mais n'a physiquement rien d'un Elvis. Il plonge à peu près chaque soir dans la peau du musicien. Endosser les costumes, broderies et strass, d'Elvis Presley. Être lui pour fuir sa réalité qui n'a vraiment rien de rock'n roll.
Lisa Marie
Ses rares moments solitaires avec sa fille Lisa Marie (le prénom de la fille d'Elvis Presley) pour unique public, ne sont qu'une apostrophe, même pas une parenthèse. Carlos/Elvis n'est jamais dans la réalité, incapable de partager totalement avec ceux qu'il aime, toujours sur le fil. Sur le point de traverser la frontière à chaque instant. Parfois on aperçoit des esquisses d'amour paternel, mais elle ne durent pas. Il parle à sa mère malade d'un grand projet, d'un rêve à accomplir et qui lui apportera la reconnaissance qu'il attend depuis toujours. "Tu seras fière de moi", lui chuchote-t-il. Lui, le mal aimé, celui qui a manqué sa vie, le marginal un peu fou, fou d'Elvis.
Graceland
Jusqu'au jour où son ex-femme et sa fille sont victimes d'un accident de voiture. Durant ce laps de temps entre le coma de la mère et la tristesse de sa fille, Elvis redevient presque un véritable père. Mais il continue de manger des sandwichs à la banane et au beurre de cacahuètes, comme son idole.Et quand sa fille lui dit qu'elle n'aime pas cela, il lui rétorque : « Lisa Marie les adorait », le dialogue est difficile. Lorsque son ex-femme sort enfin de l'hôpital, lui, quitte son travail à l'usine, sans explications. Au passage, il met le feu une nuit à l'association des sosies d'artistes chargée de lui booker des dates de concert (laquelle "oubliait" souvent de lui payer ses shows). Il quitte tout. L'Argentine pour se rendre à Graceland, Memphis, Tennessee. Accomplir son grand projet. Celui qui lui donnera un semblant d'apparat et que nous ne dévoilerons pas ici...
Une vie réinventée Le film d'Armando Bo raconte comment un homme malheureux, frappé de mélancolie et surtout, persuadé qu'Elvis est son seul espoir de rêve, d'issue au quotidien, va jusqu'au bout de sa seule passion. Une réinvention de sa vie. Les plans serrés sur l'acteur (incroyable John Mc Inerny, musicien et interprète d'Elvis dans la vraie vie), les travellings sur sa vieille Cadillac en promenade, comme une alcôve le protégeant de sa réalité, autant d'images qui contribuent à faire de ce film une très belle oeuvre. Le réalisateur a le talent de nous émouvoir au fil du quotidien d'une personne qui ne sait pas comment aimer sa propre vie ni comment aimer les siens. Et qui préfère se vouer tout entier aux chansons et à la personnalité d'un artiste libre, Elvis Presley. L'acteur, chanteur, n'est pas doublé et les scènes de concert sont à couper le souffle. De quoi nous faire oublier pour un peu que Carlos Gutierrez n'est pas Elvis Presley.
© Corinne Bernard, juillet 2013. (Parution : vivreabarcelone.com)
El Último Elvis (The last Elvis), un film d'Armando Bo (Argentine), avec John Mc Inerny, Griselda Siciliani, Margarita López... (91 mn). Sélection officielle festival de Sundance 2012. À l'affiche en Espagne à partir du 19 juillet 2013. En v.o au cinéma Renoir Floridablanca, c/Floridablanca, 135. Barcelone.