Je vous l'avais dit dans mon IMM de dimanche dernier : sitôt ma lecture en cours terminée, je me jetais sur ce joli pavé, tant la chronique de Belledenuit m'avait conquise. Il est assez rare que je me précipite ainsi sur un livre fraichement acquis mais, là, impossible d'y résister : j'ai rarement été aussi irrésistiblement attirée par un roman, tous genres confondus.
L'hisoire: Un monumental ruban de pierre se dresse en sentinelle au bord des brumes éternelles. Les hommes leur ont donné un nom : la Dernière Terre. Dans la cité-capitale des Cinq Territoires, Cahir, jeune homme frêle, maladif, aux mœurs et aux allures bien éloignées des codes stricts qui font loi autour de lui, subsiste envers et contre la réprobation générale. Il est issu des Giddires, un peuple rejeté, au ban de la paix politique qui unit les autres contrées. Malgré cela, entre intelligence et ingénuité, il parvient à se rapprocher de certains locaux, dont Ghent, fils du Haut-Capitaine à la tête des forces militaires des Basses-Terres. Au fil de ces jours paisibles, s’il advenait un événement capable de bouleverser tous les dogmes établis, quel poids l’existence de Cahir aurait-elle dans la balance des certitudes ?
Mon avis : Voilà. Je viens de tourner la dernière page de L'enfant Meredhian, après avoir tenté de le faire durer encore, et encore. Et si cela fait dix bonnes minutes que je tiens ce livre serré contre moi, cela n'empêche pas mes larmes de continuer à couler, sans interruption. Je me sens vidée. Dépossédée. Anéantie. Est-ce assez clair ? Très chère Magali, vous venez de me mettre une claque en pleine figure, comme peuvent en témoigner mes pommettes rougies, mes yeux gonflés.J'ai senti qu'il se passait quelque chose avec ce livre bien avant d'en atteindre la moitié. Et c'est pourquoi j'ai ressenti le besoin d'en apprendre davantage sur la personne ayant déniché ce joyau, et d'en faire un article afin de vous faire partager cela. Ne nous leurrons pas : il s'agissait juste d'un moyen détourné pour faire durer un peu plus cette lecture, pour m'y immerger encore davantage. Pourtant, et malgré la superbe chronique de Belledenuit, je partais avec quelques aprioris : la chronique de Galleane m'avait quelque peu effrayée, celle-ci mentionnant une lenteur de l'action dont j'ignorais tout. Mes craintes se sont rapidement dissipées, cela dit : ce livre est une pure merveille. Rien que cela.
L'action prend place au sein d'un univers divisé, scindé en deux : pour échapper aux brumes régnant sur la Dernière Terre, ce territoire hostile et synonyme d'une mort certaine, les hommes ont construit d'immenses remparts enserrant la totalité des Cinq Territoires... Ou presque : les Gamarides, les Endérines, le plateau Agrevin et les plaines de Tilh se trouvent ainsi protégés, à l'intérieur de La Cuirasse, tandis que le pays Giddire en est exclu, ne pouvant compter que sur les montagnes qui l'entourent. Ce cinquième Territoire est d'ailleurs de trop pour beaucoup : les Giddires sont méprisés par tous, rejetés, mis au ban de la société... Cette société à laquelle ils se gardent bien d'appartenir, de toute façon.
Une ville règne plus particulièrement sur cette contrée, et avec elle un homme : L'Igilh Nolath, régent des Cinq Territoires et vivant au sein de Tileh Agrevina, sur le plateau Agrevin. C'est sur cette ville que l'on se focalise dans un premier temps, Magali Villeneuve s'attachant à développer son univers et les lois qui le régissent. Tout commence lors de la Grande Relève, cette cérémonie militaire visant à consacrer les nouveaux Arpenteurs, c'est-à-dire les hommes ayant la charge de parcourir La Cuirasse nuit après nuit, sur toute sa longueur. Devenir Arpenteur est, pour beaucoup, synonyme de gloire et d'honneur : les brumes, toujours passives, ne leur donnent que peu de fil à retordre. Faire des passes avec son épée, éblouir les filles et porter l'uniforme avec toute la rigueur Agrevine, voilà qu'elles sont les véritables tâches d'un Arpenteur. Au fil des ans, l'aspirant devient novice, puis Arpenteur, puis Aguerri, puis... Les grades augmentent, les places diminuent, jusqu'au statut suprême : Haut-Capitaine. Cahir, lui, est en passe de devenir un Aguerri. Pourtant, pour ce jeune Giddire arrivé à Tileh Agrevina il y a six ans dans les bras de Melgar Cenerianh -un Haut-Garde, donc placé juste en dessous du Haut-Capitaine-, rien n'était gagné. Et rien ne l'est encore : seul Giddire vivant dans la capitale, il n'a jamais été intégré par le peuple Agrevin, si fier, si arrogant, si... xénophobe. Les chemins dévient naturellement s'ils viennent à croiser les pas du jeune homme, les regards se font doucereux, les langues acérées. La vie de Cahir est donc faite de solitude, de sous-entendus assassins et... de sourires. De sourires si ingénus, si tendres que, pour qui veut les voir, il est impossible de croire les rumeurs courant sur ce garçon et son peuple. Ghent, fils du Haut-Capitaine Solgar Ildorne, a lié une étrange amitié avec Cahir, bien que fortement réprouvée par son entourage. Se peut-il que les choses commencent à changer, les mentalités à évoluer ? Un simple sourire peut-il renverser l'ordre établi ?
Vous l'aurez compris en lisant ce petit pâté, L'enfant Merehdian est un ouvrage complexe, dense, fouillé. Nous sommes loin de l'habituel ouvrage de fantasy recélant un bestiaire digne du SDA, où action et retournements sont présents à chaque page. Ce premier tome, certes relativement "contemplatif" -encore que, ce terme ne me convient pas réellement, j'y reviendrais sous peu- était, selon moi, indispensable : l'univers créé par Magali Villeneuve est si riche, si abouti, qu'il était nécessaire de pousser l'explication jusqu'au bout, sous peine de perdre le lecteur et de présenter une œuvre inachevée. En schématisant, on pourrait ainsi dégager deux fils conducteurs : le premier s'attache à mettre en lumière les lois régissant cet univers, le deuxième relevant davantage de l'humain, se centrant sur les relations unissant les différents personnages. Alors, pour moi qui aime particulièrement les portraits creusés, travaillés à l'extrême... Vous pensez bien que j'étais aux anges. C'est ce que j'aime particulièrement dans Le Trône de Fer, et ce qui explique -en partie, tout du moins- le culte que je voue à cette série. J'ai retrouvé de cela avec L'enfant Merehdian, ce parti-pris de l'auteure ne me gênant pas outre mesure, bien au contraire.
Puisqu'ils sont au centre de l'intrigue, permettez-moi de vous toucher deux mots quant aux différents personnages que l'on rencontre au gré des pages. Comme dans tout ouvrage de dark fantasy, ils sont très loin d'un quelconque manichéisme, tout en nuances. Malgré cela, il est évident que certains d'entre eux sont bien plus détestables que d'autres. Je pense notamment à Nelgoth de Tilh, riche marchand et personnage extrêmement influent au sein de la vie politique de Tileh Agrevina. Je n'ai pas pu m'empêcher de le haïr de toutes mes forces, tant il m'a paru inhumain, froid, totalement hors de portée de toute empathie. Une petite pointe de compassion m'a tout de même effleurée lors des derniers chapitres, lorsque la confrontation finale avec sa fille, Reghia, éclate. Mais on en reste là.
Alors que tout semblait perdu d'avance j'ai, par contre, été agréablement surprise par Reghia. Je ne vous en dirais pas trop à son propos mais, d'un premier abord froid et clairement hostile, elle finit par laisser tomber le masque, nous laissant voir une jeune fille profondément meurtrie par sa solitude et le mépris de son père. Je m'y suis attachée au fil du roman, mes sentiments s'exacerbant à mesure que la fin se faisait sentir.
Melgar Cenerianh est sans doute celui, après Cahir, qui m'a le plus touchée. Cet homme on ne peut plus distant veille à ce qu'aucune fêlure n'apparaisse sur le masque de marbre qu'il s'est construit. Et pourtant... Mince, je ne peux vous en dire plus, mais ce geste qu'il a envers Cahir à la toute fin, cette signification... Ce passage ne pouvait que me tirer des larmes. Le contraire était tout simplement impossible.
J'ai également beaucoup aimé suivre Feor et son ami Ved, même s'ils sont séparés de l'intrigue principale, puisque habitant les Gamarides. L'un aussi travailleur que l'autre est fainéant, leurs joutes verbales m'auront fait sourire plus d'une fois. J'ai l'intuition qu'on ne tardera pas à les retrouver dans le deuxième tome, et qu'ils pourraient bien se rapprocher de nos deux personnages principaux... A la faveur d'un évènement inattendu.
Un mot sur ces deux personnages principaux, justement, Ghent et Cahir. Et là, je suis bien embêtée, particulièrement en ce qui concerne le personnage de Ghent. Je suis déçue, si déçue ! Déçue par les choix qu'il fait, les décisions qu'il prend. J'en attendais tellement plus ! Mais c'est le propre de la Dark Fantasy, ne l'oublions pas : les gentils ne sont jamais totalement gentils. Si Magali Villeneuve voulait faire louper à mon coeur quelques battements, elle ne s'y serait pas pris autrement, c'est aussi simple que cela.
Par contre, Cahir... Je peux officiellement vous dire que je viens de trouver le personnage le plus touchant qu'il m'ait été donné de rencontrer. 450 pages, et j'y suis déjà plus attachée que n'importe quel autre héros. Je suis allée à sa rencontre tout d'abord avec méfiance, et mes défenses sont rapidement tombées. D'un seul coup, sans avertissement. Me laissant face à ce personnage si atypique, mais si attachant. Rien que de penser à certains passages, aux "brimades" qu'il doit subir... J'en ai le cœur serré.
Ce que Magali Villeneuve fait avec ses personnages, c'est juste... Énorme, je ne trouve pas d'autres mots. Tous sont liés d'une manière ou d'une autre, et on ressent ces relations avec une intensité folle. Alors, que l'action soit peu présente... Sincèrement, on s'en contre-fiche : on sent que l'auteure pose les bases de son récit, que toutes nos questions trouveront leurs réponses dans les tomes suivants. Je n'ai pas, à un seul instant, ressenti une quelconque lassitude, une quelconque longueur : on est entièrement accaparé par cette psychologie si bien développée, par cet univers dont les tenants nous échappent encore, mais dont le charme opère déjà, et avec force. Ce récit est empreint d'une émotion indicible, et construit avec un intelligence rare, voilà ce que je peux vous dire. Un mot rapide sur le contexte, tout de même : outre les jeux de pouvoirs au sein de Tileh Agrevina qui m'ont fascinée, ce culte de la jeunesse entretenu jusque dans les plus hautes sphères de la société qui m'a un peu déconcertée (ils sont tous si jeunes !), j'ai beaucoup aimé cette atmosphère de mystère entourant cette Dernière Terre. Les brumes sont-elles aussi innocentes qu'elles veuillent bien le paraitre ? Que s'y cache-t-il véritablement ? Pourquoi la caste des Arpenteurs a-t-elle été créée, si le danger ne la justifie pas ? Bref, nous avons tout à apprendre, et je me réjouis d'avance des révélations futures. Loin de ressentir une lassitude devant ce peu de rebondissements, je suivais ma lecture tranquillement, savourant chaque détail, m'imprégnant de cette atmosphère si particulière. J'ai découvert avec surprise et une joie certaine qu'un ouvrage de fantasy pouvait très bien se passer de cette frénésie parfois harassante qu'affectionne très souvent le genre, les évènements s'enchainant à la limite du crédible, laissant parfois le lecteur sur le côté faute d'avoir sur l'attacher suffisamment. Magali Villeneuve se donne le temps, nous donne le temps, et je dois dire que ça fait du bien. Ce rythme tranquille nous enserre toutefois sciemment le cœur, et notre lecture s'accélère peu à peu : chaque évènement est savamment creusé, tant sur l'instant que pour ses conséquences. On se prend à guetter chaque information, chaque détail. Et plus le dénouement se rapproche, plus cette "urgence" de lecture se fait sentir. L'auteure n'a nul besoin de relancer perpétuellement notre intérêt avec des rebondissements incongrus : elle l'a captivé dès les premières lignes.
Je conclurai finalement en vous parlant de la plume de Magali ? A l'image de son récit, son style est riche, et diablement beau à lire. Les descriptions se parent d'une réalité sans pareille et glissent librement, là où elles seraient lourdes si menées par une autre main. Elles sont d'ailleurs à l'image des superbes illustrations présentes dans le Art-Book accompagnant ce premier tome. Si cette chronique (terriblement longue, j'en conviens) ne vous a pas convaincu, je ne peux que vous enjoindre de regarder ce magnifique book-trailer, dont la musique se marie à la perfection avec l'ambiance de ce chef-d’œuvre...
En bref, un ÉNORME coup de cœur pour ce premier tome abouti au possible, qui m'aura laissée en larmes et déchirée de devoir tourner la dernière page. Magali Villeneuve signe d'une main de maitre son premier roman, et je n'ai pas besoin d'attendre le mois de décembre pour savoir que L'Enfant Merehdian sera ma plus belle lecture de l'année 2013.
Coup de coeur !