Il a vingt ans et une licence d’ethnologie. Eric Minnaert
arrive chez les Pygmées Aka. Il doit y mener une étude. Son sujet :
comprendre comment les groupes interagissent dans leur déplacement en forêt. « Un thème à
la mode, à l’époque. »
Il est aux portes d’un campement. Il plante sa
tente. Les habitants sont partis à la chasse. En gage d’intentions pacifiques,
il dépose au pied de chaque hutte un peu de sel iodé. Il est accueilli sans
animosité. Mais comment se nourrir ? Il ne sait pas chasser. La
communauté lui apporte de temps à autres de la nourriture. Mais, il le
comprendra plus tard, elle pense que nourrir quelqu’un est l’insulter. Une
solution émerge. Participer à la chasse. Ainsi au moins, l’illusion de son
utilité peut être entretenue. « J’étais
le poids mort du groupe. Mais une source d’amusement. »
Eric découvre alors « la jubilation de la vie ». « Ils sont toujours en train de se marrer ». Les Pygmées
cultivent « une forme de détachement »,
« un humour à l’anglaise ».
« Ils ne sont jamais tristes ou
inquiets ». Ils ont construit un monde dans lequel « tout s’explique ». Ils ont évacué
ce qui terrorise l’Occidental. Par exemple, « la mort appartient au quotidien ». « On meurt, mais on est bien ». L’ontologie du Pygmée est différente de la nôtre. Il
est animiste. Il appartient « au
grand tout ». Un monde « apaisé ».
Car la forêt lui apporte ce dont il a besoin. « Tu veux quelque-chose ? Va en forêt. » « Chaque matin, tout le monde se lève. Le
leadership se révèle. Celui qui sent le mieux l’esprit de la forêt mène la
chasse. » Quand elle ne donnait rien, « on crachait dans le filet ». Et ça marchait. Mais la forêt est
surtout une sorte d’être. « Ils ne
voient pas le ciel. » « On
est dans quelque-chose d’organique », « on est dans le pourrissement, on a le sentiment d’être pourrissants,
mais leurs corps résistent au pourrissement ». Cet être est fait de
petits groupes, hommes ou animaux. Ils vivent sans se rencontrer. Mais comment
parviennent-ils à se coordonner ?
« On sait qu’ils ont refusé la métallurgie. Le
changement aurait créé le désordre. » Depuis plusieurs milliers d’années,
ce monde est immobile car cyclique. Plus pour longtemps. « Leur
disparition a eu lieu. Ils étaient incapables de se
défendre, incapables de violence. »
« On faisait des marches de
plusieurs jours, on allait aux quatre coins de la forêt, on s’asseyait, on
écoutait, les pelleteuses, les camions. » « Il ne se passait rien, on
repartait. » « Quelques jours plus tard, on refaisait pareil. » « Pourquoi me
détruisez-vous ? » Voilà ce que ces marches signifiaient. Mais
Eric ne l’a pas entendu. Plus tard, il comprend. C’est la brouille avec
l’anthropologie traditionnelle. « Je
vais collecter de l’information, je reviens, je traite, je prends un grade.
Toute une vie de concepts. Je fais carrière. » Il veut une
anthropologie qui entende les appels à l’aide des groupes humains, et qui
agisse.