Comment j’ai failli être directeur du CEVIPOF

Publié le 18 juillet 2013 par Lbouvet

Ce texte a été publié dans le numéro de juillet 2013 du bulletin PALAESTRA de l’Association des Enseignants-Chercheurs en Science Politique (AESCP), p. 28-30. Il est disponible en .pdf sur le site de l’association.

Je remercie Palaestra et l’AECSP de me donner l’occasion de revenir sur l’épisode de mon passage-éclair au CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, dont j’aurais dû prendre la direction au début du mois de janvier 2013. Si je le fais, c’est à la fois en raison de la publicité extérieure qui en a été donné, à l’occasion notamment d’un article publié dans Le Monde : « Au CEVIPOF, la politique est un sport de combat » (12 janvier 2013) et pour livrer « ma part de vérité ».

Précision : je ne dirai rien ici sur les raisons qui ont conduit le comité de recherche à retenir ma candidature et le conseil d’unité à l’approuver, tous les deux unanimement, car ce n’est pas à moi de le faire. Pas plus que je n’exposerai les raisons qui m’ont conduit à être candidat à ce poste, cela mériterait beaucoup plus de place que l’on m’en alloue avec déjà beaucoup d’indulgence.

Après l’exposé d’une chronologie des faits, je m’en tiendrai à quelques remarques.

Au mois de mars 2012, quelques jours seulement avant la mort de Richard Descoings, le directeur de Sciences Po, je suis contacté par Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF, qui m’annonce que le poste de directeur du centre qu’il occupe sera vacant au 1er janvier 2013 et qu’un « comité de recherche » va être mis en place afin de choisir un candidat à proposer au conseil d’unité. Il m’invite à présenter ma candidature.

Le 3 mai 2012, je reçois par courriel de mon université, la lettre d’appel à candidatures (avec la fiche de poste) envoyée par Jean-Claude Casanova, président de la FNSP, aux chefs d’établissements des universités et des IEP. La date limite de dépôt des dossiers de candidature est fixée au 31 mai 2012. Le comité de recherche est composé outre de J.-C. Casanova et P. Perrineau, de Jérôme Jaffré (directeur du CECOP et chercheur associé au CEVIPOF), d’Olivier Duhamel (professeur de droit public à Sciences Po) et de Philippe Raynaud (professeur de science politique à Paris-Panthéon-Assas). Je dépose mon dossier de candidature (CV détaillé, lettre de motivation et bibliographie des travaux) qui est jugé recevable.

Le 14 juin 2012, je suis informé que le comité de recherche qui s’est réuni la veille a choisi, à l’unanimité, de proposer ma candidature au conseil d’unité du centre. Une lettre datée du même jour de J.-C. Casanova en informe officiellement P. Perrineau et la direction scientifique de Sciences Po (Michel Gardette assurant l’intérim en l’absence de directeur suite au départ de Bruno Latour). Dans cette lettre, la suite de la procédure est explicitée : présentation au conseil d’unité puis en cas d’avis favorable, proposition du nom du nouveau directeur au CNRS avant nomination conjointe par les deux co-tutelles du centre (FNSP et CNRS).

Le 29 juin 2012, le conseil d’unité du CEVIPOF (composé des représentants élus de toutes les catégories de personnel, FNSP et CNRS, et de personnalités nommées internes à Sciences Po et extérieures, notamment étrangères) donne, à l’unanimité, un avis favorable à ma nomination comme directeur au 1er janvier 2013. Une lettre datée du même jour de P. Perrineau en informe J.-C. Casanova.

Le 3 juillet 2012, je suis présenté officiellement à l’assemblée générale des personnels (chercheurs, personnel administratif et chercheurs associés) du CEVIPOF par Pascal Perrineau. J’y expose les grandes lignes du projet pour le centre que nous aurons à discuter et élaborer ensemble.

Le 5 juillet 2012 paraît au Bulletin Quotidien, p. 24, l’annonce de ma « nomination », ainsi formulée (avant un court CV me concernant) : « M. Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’UVSQ et enseignant à l’IEP de Paris, dirigera le CEVIPOF ». Plusieurs journaux se font écho de cette annonce.

Le 17 juillet 2012, J.-C. Casanova envoie une lettre à Patrice Bourdelais, directeur de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, dans laquelle il l’informe de ma désignation par Sciences Po en lui détaillant la procédure (et en mentionnant qu’il y a eu 3 candidatures examinées par le comité de recherche), et la décision à l’unanimité du conseil d’unité. Et il lui propose ma nomination.

Le 27 juillet 2012, P. Bourdelais dans un courriel adressé à J.-C. Casanova avec copie à Dimitri Lerouge (de la direction du CNRS) lui répond qu’il se « rallie sans aucune difficulté » à ma nomination et qu’un courrier de confirmation « de nature plus administrative » sera adressé à J.-C. Casanova dans les prochains jours.

De début septembre à début décembre 2012, je suis présent de manière régulière au CEVIPOF où je me mets au courant des dossiers et rencontre nombre d’interlocuteurs (du centre lui-même, à Sciences Po et plus largement) afin d’être opérationnel dès ma prise de fonction en janvier et de discuter du projet pour le centre. J’assure ce travail de préparation à ma future fonction sans rémunération ou indemnité d’aucune sorte, tout en continuant à assurer mon service et mes fonctions à l’université.

Pendant cette période, je ne reçois aucune information ni aucun document relatif à ma nomination, et ce malgré des demandes répétées de ma part auprès des personnes concernées.

Le 27 novembre 2012, la section 40 du Comité national de la recherche scientifique qui tient sa session d’automne, statuant, pour avis, sur les changements de direction d’unités, émet un avis défavorable concernant ma nomination au CEVIPOF (UMR 7048). J’apprends informellement, le lendemain, lors d’une conversation téléphonique, cette « décision » par le président de la section 40, Christophe Jaffrelot. Elle figure aussi dans le compte-rendu syndical de la session d’automne dont je prends connaissance quelques semaines après. Aucune notification ni aucune motivation officielle de cet avis ne m’ont été données. Ont seulement été évoqués par C. Jaffrelot, le fait que je ne sois pas en poste à Sciences Po et les questions soulevées par la « procédure » ayant conduit à ma désignation.

Le 6 décembre 2012, le conseil d’unité du CEVIPOF, constatant que ma nomination n’est pas intervenue, décide de maintenir P. Perrineau dans sa fonction de directeur pour l’année 2013. P. Perrineau m’indiquera quelques semaines plus tard (au retour des congés de fin d’année) qu’il n’est plus utile désormais que je vienne au CEVIPOF et qu’une nouvelle procédure de sélection du futur directeur sera mise en place dès que possible.

Remarques

La question de savoir pourquoi je n’ai pas été nommé à l’automne 2012 pour prendre mes fonctions en janvier 2013 alors que l’accord des différents intervenants était acquis à l’été reste posée. Entre septembre et décembre, chacun était convaincu ou paraissait l’être, moi le premier, que je devais prendre la direction du centre le 1er janvier. Le 6 décembre avait même été prévu comme date pour le pot de départ de P. Perrineau à l’issue du conseil d’unité qui se tenait ce jour-là.

Je retiens trois éléments qui peuvent expliquer une telle situation.

D’abord, la situation générale à Sciences Po, en raison de la « crise » ouverte par le décès de R. Descoings et pour sa succession. Mon « arrivée » au CEVIPOF a été exactement concomitante de cette crise qui a paralysé et affaibli la « gouvernance » centrale de l’institution. Le cas du CEVIPOF n’était bien évidemment dans ces circonstances pas une priorité et il n’a sans doute pas été traité comme il l’aurait dû, notamment dans le suivi entre FNSP et CNRS. De plus, le fait d’avoir été choisi par un comité de recherché constitué suivant des modalités propres à la FNSP avant cette crise a fortement contribué à ranger mon dossier dans la catégorie de ceux qu’il faudrait rouvrir à son issue.

Ensuite, la situation du CEVIPOF lui-même, à l’intérieur de Sciences Po et vis-à-vis du CNRS. Depuis le départ en 2009 d’une partie des chercheurs du centre, notamment ceux de statut CNRS, vers le CEE (le Centre d’Etudes Européennes de Sciences Po qui n’a pas, contrairement au CEVIPOF le statut d’UMR), se pose la question du rattachement des chercheurs et celle, plus générale, des liens des laboratoires de Sciences Po (FNSP) avec le CNRS.

Le renouvellement de la direction du CEVIPOF, déjà en cause à l’époque, représentait dès lors un enjeu de poids, à la fois pour les chercheurs CNRS du CEVIPOF (notamment en termes de gestion de carrière), pour ceux du CEE et pour le CNRS lui-même. Dès lors, le fait d’être soutenu par la direction sortante, de ne pas avoir de lien avec le CNRS et d’être extérieur à Sciences Po est vite apparu comme un triple et lourd handicap.

Enfin, ma situation personnelle : celle d’un outsider à plusieurs titres pour la fonction. Il m’est ainsi clairement apparu tout au long de ces mois passés à être le « futur directeur du CEVIPOF » que l’on m’a considéré comme un élément extérieur à la « maison » dont « l’intégration » n’allait absolument pas de soi.

Je suis en effet un universitaire et non un « chercheur » (au sens de la FNSP ou du CNRS), ayant fait toute sa carrière jusqu’ici dans des établissements où le rapport à la masse étudiante et aux contraintes budgétaires de tous ordres est un trait nettement distinctif par rapport à ce qui se passe à Sciences Po – établissement dans lequel le statut d’universitaire n’est pas dominant, et de loin, au sein du corps académique (de l’ordre de 1/5e).

Je relève par ailleurs, dans la discipline « science politique », de la spécialité dite « théorie politique » qui si elle est numériquement plutôt bien représentée à Sciences Po et au CEVIPOF, reste néanmoins très minoritaire, et de surcroît divisée dans l’établissement. L’arrivée d’un collègue supplémentaire issu de cette spécialité n’a pas été perçue comme un point positif mais plutôt soit comme le renforcement indu de celle-ci au détriment des autres spécialités soit comme une menace directe pour certaines positions établies dans la maison dans cette spécialité.

Last but not least, je défends dans la discipline une conception à la fois généraliste (considérant que bien que spécialiste d’un domaine, c’est la politique comme objet qui définit la discipline), pluraliste (considérant que l’on peut faire de la science politique de différentes manières sans qu’il y ait d’exclusive) et ouverte (considérant que la discipline doit s’adresser à la société et non pas seulement aux étudiants ou à elle-même) qui n’est pas nécessairement partagée par tous les collègues, à Sciences Po comme ailleurs.

A ces caractéristiques, s’est ajouté un élément plus personnel encore, celui de mon engagement public, qui a joué d’une double manière paradoxale.

D’une part, si engagement de ma part il y a dans le débat public, sur tel ou tel sujet (université et recherche, questions de société…), il n’est lié à aucune affiliation partisane et ce depuis maintenant de nombreuses années. Je n’ai, par exemple, et contrairement à certains collègues, ni appelé à voter pour un candidat à la présidentielle ni participé à aucune campagne lors des élections de 2012. J’ai même souvent pris position publiquement contre le parti politique et le « camp », le PS, dont je suis réputé proche ! Le rôle « d’intellectuel public » (en référence ici à cette belle notion américaine) tel que je le conçois est d’intervenir pour éclairer le débat en prenant position à partir d’un travail académique préalable, et non de soutenir tel ou tel parti ou telle ou telle opinion.

D’autre part, mon engagement public est d’une totale transparence. Il l’était en juin et juillet 2012 de la même manière qu’il l’était en décembre de la même année, comme il l’est toujours aujourd’hui. Toutes mes prises de position sont publiques, référencées et aisément disponibles, en ligne notamment. Elles étaient donc connues et n’ont pas changé. J’avais d’ailleurs clairement annoncé dès le mois de juillet, une fois désigné par le conseil d’unité, que je m’appliquerais bien évidemment en tant que directeur du CEVIPOF le devoir de réserve indispensable à l’exercice de la fonction et que j’utiliserais les modes d’intervention propres à celle-ci.

Aujourd’hui, malgré ces éléments, la question subsiste pour moi de ma « non nomination ». Et si la page de cette étonnante aventure est désormais tournée, elle n’en reste pas moins une expérience riche d’enseignements (humains en particulier) sur le monde à part que représente, de bien des manières, Sciences Po.


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