On ne transige pas avec l’ennemi

Publié le 17 juillet 2013 par Nicolas007bis

Amusant comme certains sujets se prêtent plus que d’autres à des propos passionnés et donc excessifs, agressifs et lapidaires.

Clairement, la taxe sur les transactions financières que 11 pays européens souhaitent mettre en place en fait partie.

Rappelons que pour ses promoteurs, cette taxe dite « Tobin » avait la prétention d’être universelle. Outre la beauté du principe, sa généralisation à l’univers tout entier devait permettre d’éviter les déplacements d’activité au profit des pays qui ne l’appliqueraient pas. Cette application mondiale a vite tourné à l’illusion avec le refus des principaux centres financiers de la mettre en œuvre : les Etats-Unis, le Japon, Singapour, Hong-Kong, la Suisse ou, en Europe, le Royaume-Unis et le Luxembourg s’y sont déclarés hostiles.

Faute d’un consensus ni mondial, ni même européens sur le sujet, elle été mise en place en avant première en France par Nicolas Sarkozy en 2012 bientôt suivie par l’Italie en 2013. Au niveau européens, et faute d’unanimité (on en est loin), 11 pays dont la France et l’Allemagne, ont décidé de monter le projet dans un périmètre réduit et dans le cadre d’une procédure un peu particulière dit de « coopération renforcée ».

Sur cette base, la Commission Européenne a proposé un projet, décrivant à la fois le périmètre des opérations concernées, les taux qui seraient appliqués et les conditions d’application.

Le projet tel qu'il a été imaginé par la Commission a été beaucoup critiqué par les établissements financier des pays concernés ce qui ne surprendra personne.

Par contre, beaucoup plus surprenant, des critiques sont venues d’où on les attendait beaucoup moins : la BCE, la Banque de France, la Bundesbank et même l’Autorité des Marchés Financiers française (AMF) ont exprimées un certain nombre de reproches à l’égard du projet préparé par la Commission européenne. Je ne les reprendrais pas en détail, mais ce n’est pas faire preuve d’esprit partisan, ni de faiblesse vis-à-vis de lobbies bancaires que de considérer qu’il peut être utile d’écouter et de prendre en compte ce que ces éminentes institutions ont à nous dire sur le projet actuel de TTF européenne.

C’est d’ailleurs en partie inspiré par ces remarques que Pierre Moscovici, tout en réaffirmant clairement que soit mise en place en Europe une taxe sur les transactions financières, a considéré que la proposition de la Commission européenne était « excessive » et qu’elle devait être amendée au nom du pragmatisme et du réalisme.

Le malheureux, que n’avait-il pas dit là !

Aussitôt, les idéologues de gauche lui sont tombés dessus à bras raccourcis.

Pour L’Humanité Moscovici veut « saboter » la taxe alors que Médiapart l’accuse de l’enterrer et que pour Marianne il capitule (encore une fois) devant la finance. Du coté des politiques nous avons Marie-Noëlle Lienemann qui juge ses propos « effarants » rien de moins !

Pourtant qu’a dit Moscovici ?

Simplement que faute d’une application sinon mondiale du moins au niveau européen, dans ses modalités actuelles, cette taxe risque fort de pénaliser la place financière de Paris au détriment de celle de Londres ou du Luxembourg par exemple et surtout de nuire au financement de l’économie française, qui en a pourtant bien besoin.

En l’état, ajoute-t-il, cette taxe agirait « comme repoussoir pour une vraie taxe européenne généralisable à toute l’Union ».

Contrairement à ce que laissent entendre certains organes de presse, Pierre Moscovici ne demande pas la suppression pure et simple du projet de taxe mais demande à ce qu’il soit modifié sur certains points qu’il jugent contre-productifs.

Mais non, le symbole est trop fort et l’occasion trop bonne d’en mettre plein la tronche à celui que Mélenchon accusait il y a peu de ne pas penser français mais finance internationale.

On retrouve là, l’habituelle contradiction entre les idéologues qui s’imaginent que la volonté politique associée à une bonne taxe suffit pour changer le monde et les pragmatiques qui pour autant peuvent avoir des convictions, qui vont tenter de faire au mieux pour approcher leur objectif, compte tenu des contraintes auxquelles ils sont soumis.

Si on laisse faire les premiers, il y a de fortes chances pour que les effets collatéraux de leurs décisions soient tels que le résultat en soit globalement négatif (sauf peut être en ce qui concerne le symbole). Ce qui n'empêche pas de surveiller les seconds afin de s’assurer qu’ils ne reculent pas devant des difficultés qui pourraient tout à fait être sinon surmontées du moins contournées.

Dans le cas présent, la position de Moscovici relève clairement de la seconde catégorie. Contester les modalités d’une taxe sur les transactions financières parce qu'elles risquent de pénaliser l’économie réelle, de faire partir une partie de l’activité financière à l’étranger et de réduire en conséquence la base de taxation et donc de ne plus rapporter grand-chose, relève d’un pragmatisme intelligent pour un ministre des finances plus soucieux des intérêts de son pays que de la force du symbole.

De plus, c’est sans nul doute la meilleure démarche pour espérer faire adhérer un jour les autres pays européens à cette taxe.

Bien sur, comme à chaque fois que l’on se retrouve dans cette situation, le pragmatique à le mauvais rôle. Traité de dégonflé, vendu, capitulard, saboteur voire traître, le pragmatique sera nécessairement agressé par ceux qui, campés sur leurs certitudes, assimilent une concession à une trahison.

Il faut dire que l’exemple vient d’en haut, « Mon véritable adversaire c'est le monde de la finance » nous a bien dit François Hollande et on ne transige pas avec l’ennemi.

PS: Les attaques à l'encontre de Moscovici sont même contestées par une partie de la blogosphère de Gauche, c'est plutôt rassurant