Amusant comme
certains sujets se prêtent plus que d’autres à des propos passionnés et donc
excessifs, agressifs et lapidaires.
Clairement, la taxe sur les transactions financières que 11 pays européens
souhaitent mettre en place en fait partie.
Rappelons que pour ses promoteurs, cette taxe dite « Tobin » avait
la prétention d’être universelle. Outre la beauté du principe, sa
généralisation à l’univers tout entier devait permettre d’éviter les
déplacements d’activité au profit des pays qui ne l’appliqueraient pas. Cette
application mondiale a vite tourné à l’illusion avec le refus des principaux
centres financiers de la mettre en œuvre : les Etats-Unis, le Japon,
Singapour, Hong-Kong, la Suisse ou, en Europe, le Royaume-Unis et le Luxembourg
s’y sont déclarés hostiles.
Faute d’un consensus ni mondial, ni même européens sur le sujet, elle été
mise en place en avant première en France par Nicolas Sarkozy en 2012 bientôt
suivie par l’Italie en 2013. Au niveau européens, et faute d’unanimité (on en
est loin), 11 pays dont la France et l’Allemagne, ont décidé de monter le
projet dans un périmètre réduit et dans le cadre d’une procédure un peu
particulière dit de « coopération renforcée ».
Sur cette base, la Commission Européenne a proposé un projet, décrivant à la
fois le périmètre des opérations concernées, les taux qui seraient appliqués et
les conditions d’application.
Le projet tel qu'il a été imaginé par la Commission a été beaucoup critiqué
par les établissements financier des pays concernés ce qui ne surprendra
personne.
Par contre, beaucoup plus surprenant, des critiques sont venues d’où on les
attendait beaucoup moins : la BCE, la Banque de France, la Bundesbank et
même l’Autorité des Marchés Financiers française (AMF) ont exprimées un certain
nombre de reproches à l’égard du projet préparé par la Commission européenne.
Je ne les reprendrais pas en détail, mais ce n’est pas faire preuve d’esprit
partisan, ni de faiblesse vis-à-vis de lobbies bancaires que de considérer
qu’il peut être utile d’écouter et de prendre en compte ce que ces éminentes
institutions ont à nous dire sur le projet actuel de TTF européenne.
C’est d’ailleurs en partie inspiré par ces remarques que Pierre Moscovici,
tout en réaffirmant clairement que soit mise en place en Europe une taxe sur
les transactions financières, a considéré que la proposition de la Commission
européenne était « excessive » et qu’elle devait être amendée au nom
du pragmatisme et du réalisme.
Le malheureux, que n’avait-il pas dit là !
Aussitôt, les idéologues de gauche lui sont tombés dessus à bras
raccourcis.
Pour
L’Humanité Moscovici veut « saboter » la taxe alors que
Médiapart l’accuse de l’enterrer et que pour
Marianne il capitule (encore une fois) devant la finance. Du coté des
politiques nous avons Marie-Noëlle Lienemann qui juge ses propos
« effarants » rien de moins !
Pourtant
qu’a dit Moscovici ?
Simplement que faute d’une application sinon mondiale du moins au niveau
européen, dans ses modalités actuelles, cette taxe risque fort de pénaliser la
place financière de Paris au détriment de celle de Londres ou du Luxembourg par
exemple et surtout de nuire au financement de l’économie française, qui en a
pourtant bien besoin.
En l’état, ajoute-t-il, cette taxe agirait « comme repoussoir pour
une vraie taxe européenne généralisable à toute l’Union ».
Contrairement à ce que laissent entendre certains organes de presse, Pierre
Moscovici ne demande pas la suppression pure et simple du projet de taxe mais
demande à ce qu’il soit modifié sur certains points qu’il jugent
contre-productifs.
Mais non, le symbole est trop fort et l’occasion trop bonne d’en mettre
plein la tronche à celui que Mélenchon accusait
il y a peu de ne pas penser français mais finance internationale.
On retrouve là, l’habituelle contradiction entre les idéologues qui
s’imaginent que la volonté politique associée à une bonne taxe suffit pour
changer le monde et les pragmatiques qui pour autant peuvent avoir des
convictions, qui vont tenter de faire au mieux pour approcher leur objectif,
compte tenu des contraintes auxquelles ils sont soumis.
Si on laisse faire les premiers, il y a de fortes chances pour que les
effets collatéraux de leurs décisions soient tels que le résultat en soit
globalement négatif (sauf peut être en ce qui concerne le symbole). Ce qui
n'empêche pas de surveiller les seconds afin de s’assurer qu’ils ne reculent
pas devant des difficultés qui pourraient tout à fait être sinon surmontées du
moins contournées.
Dans le cas présent, la position de Moscovici relève clairement de la
seconde catégorie. Contester les modalités d’une taxe sur les transactions
financières parce qu'elles risquent de pénaliser l’économie réelle, de faire
partir une partie de l’activité financière à l’étranger et de réduire en
conséquence la base de taxation et donc de ne plus rapporter grand-chose,
relève d’un pragmatisme intelligent pour un ministre des finances plus soucieux
des intérêts de son pays que de la force du symbole.
De plus, c’est sans nul doute la meilleure démarche pour espérer faire
adhérer un jour les autres pays européens à cette taxe.
Bien sur, comme à chaque fois que l’on se retrouve dans cette situation, le
pragmatique à le mauvais rôle. Traité de dégonflé, vendu, capitulard, saboteur
voire traître, le pragmatique sera nécessairement agressé par ceux qui, campés
sur leurs certitudes, assimilent une concession à une trahison.
Il faut dire que l’exemple vient d’en haut, « Mon
véritable adversaire c'est le monde de la finance » nous a bien
dit François Hollande et on ne transige pas avec l’ennemi.
PS: Les attaques à l'encontre de Moscovici sont même contestées par une partie de la blogosphère de Gauche, c'est plutôt rassurant