Sur la falaise

Au loin passe une barque : un pêcheur s’apprête à passer une nuit sous les étoiles. Dans le ciel le soleil bas s’éclipse sous une lune en croissance. Une légère brise apporte l’air marin jusque sur le bord de la falaise. De là on domine le monde, on est haut, si haut que l’on dit de ceux qui sont tombés qu’ils se sont envolés. En tout cas on ne les a jamais retrouvés.
Julie semble apprécier le spectacle. Quelle beauté, dit-elle. C’est ce à quoi s’attendait Richard, ce qu’il craignait un peu. Il se séparera certainement d’elle ; si elle ne peut pas comprendre, il le faudra. Ou alors Julie se séparera de lui, comme c’est déjà arrivé avec les autres, celles d’avant Julie, après la visite sur la falaise. À chaque fois la même conclusion : séparation. Pas rupture, non ; séparation. La barque n’en finit pas de passer sur la mer orange sanguine quand il lui dit : c’est là que ça s’est passé. C’est la que mon père s’est envolé.
Richard ne regarde plus Julie. Il n’arrive pas à. Julie peut bien regarder ce qu’elle veut, cette beauté, comme elle dit. Mais là elle ne dit rien. C’est le silence d’un coucher de soleil. Sur la barque une petite lanterne s’allume : un petit astre éclaire la mer au loin. L’eau encre de Chine se pare de deux bijoux: le reflet de la lune en croissance et le soleil du pêcheur. Le temps s’est donc écoulé puisque la conscience de Richard passe du couchant chaud aux ténèbres frais sans transition. Il se sent bien maintenant mais ne regarde toujours pas Julie. Julie ne parle pas. Elle tient la main de Richard, fermement, résolument. Elle pose ses lèvres sur son cou.