Du saumon grillé (Steven Depolo/Flickr/CC)
Femmes enceintes et jeunes, ne mangez pas de saumon plus de deux fois par semaine. Telle est la nouvelle recommandation du gouvernement norvégien, forcé de reconnaître – tardivement – que ce poisson gras est aussi bourré de produits toxiques.
Le gouvernement aimerait surtout que la nouvelle ne traverse pas la frontière. Pensez : la Norvège a été en 2012 à l’origine de 60% de la production mondiale de saumon atlantique, le pays a produit près d’1,2 million de tonne de ce poisson. Et les 29 milliards de dollars annuels générés par les exportations de ce secteur-clé de l’économie pourraient s’en trouver affectés.
En France
Un Français consomme environ 2,3 kilos de saumon norvégien en moyenne par an. La France a importé, en 2012, quelque 161 175 tonnes de saumon norvégien, soit environ 15% de la production du pays nordique. C’est le premier marché d’export, devant la Russie.
En 2011, Rue89 vous avait alerté sur ce sujet, et trouvé étonnant que le ministère de la Santé recommande de manger du poisson gras deux à trois fois par semaine au nom de ses nombreuses vertus supposées pour la santé (ils sont bons pour le cœur, la circulation et la lutte contre certaines maladies inflammatoires, voire contre certains cancers).
Est-il bien raisonnable de manger autant de poissons nourris aux farines animales, aux antibiotiques et même aux pesticides ? La pharmacologue Claudette Béthune, qui a travaillé pour l’organisme norvégien de sécurité alimentaire (le Nifes), avait clairement tranché :
« La présence de polluants tels que les dioxines et le PCB dans le saumon génère un risque de cancer, qui, pour les personnes jeunes, dépasse les bénéfices attendus du saumon sur la santé. »
Des polluants organiques persistants dans le saumon
Ce n’est qu’à la suite d’une grosse pression médiatique que les autorités sanitaires ont fini par reconnaître qu’elles avaient trop poussé à la consommation. L’alerte lancée par le journal VG est très claire :
« Les médecins appellent à ne pas manger de saumon d’élevage. »
Le journal fait parler une équipe indépendante du laboratoire de biochimie de Bergen, qui estime que ce poisson est tout simplement dangereux pour les jeunes enfants, adolescents et femmes enceintes en raison des polluants organiques persistants qu’il contient.
En vertu du principe de précaution, ces groupes de populations ne devraient pas en consommer.
Le Dr Anne-Lise Bjorke Monsen, membre de ce labo, précise :
« Les polluants retrouvés dans le saumon d’élevage ont une mauvaise influence sur le développement du cerveau, et sont associé à l’autisme, à l’hyperactivité et à la baisse de QI.
On sait aussi qu’ils peuvent avoir un effet négatif sur les défenses immunitaires, le système hormonal et le métabolisme. Ils se transmettent aussi par allaitement. Si l’on a besoin d’oméga-3 provenant du poisson, le maquereau et le hareng sont très bien. »
De surcroît, le toxicologue Jérôme Ruzzin avait établi un lien, chez les souris entre une nourriture exclusive au saumon d’élevage pendant huit semaines et le développement de l’obésité et du diabète de type 2.
Des avis pas écoutés
La recommandation
« Il est recommandé que les jeunes femmes et les femmes enceintes consomment deux à trois repas à base de poisson par semaine, dont la moitié de poissons gras. Nous précisons que la consommation de poissons gras, tels le saumon, la truite, le maquereau, le hareng, devrait rester inférieure à deux repas par semaine », dit le gouvernement norvégien.
Face à ces révélations en série, les autorités ont été obligées de revoir leur discours en urgence. Quatre jours après les articles de VG, largement relayés par le reste de la presse, le ministre de la Santé a ordonné que soient revus les conseils de santé concernant le saumon d’élevage.
Il était temps. La Russie avait stoppé toute importation de saumon norvégien en 2006 et des chercheurs américains avaient déjà prévenu qu’il ne fallait pas manger de saumon norvégien d’élevage plus de trois fois par an.
En Norvège, déplore le journal Dagbladet, le Comité scientifique pour la sécurité alimentaire avait recommandé en 2006 de ne pas dépasser plus de deux repas par semaine contenant du poisson gras. Mais l’agence norvégienne de la Santé n’avait jamais suivi ces recommandations.
Les Norvégiens auraient pu éviter d’être abreuvés pendant toutes ces années d’un message erroné diffusé à tous : « Il faut manger au moins deux repas par semaine contenant du poisson gras ».
Et les exportations ?
Si ces nouvelles pouvaient ne pas traverser les frontières, cela ferait les affaires des autorités. L’organisme de promotion des produits de la mer de Norvège n’a toujours pas communiqué sur le changement de recommandation.
Dans un article intitulé « Vendeur de saumon norvégien comme si rien ne s’était passé », Dagbladet révèle que le Centre des produits de la mer de Norvège, et la ministre de la Pêche ne comptaient pas informer les consommateurs à l’étranger. « Ce sont les recommandations de chaque pays qui comptent », précise Christian Chramer, directeur de la communication de cet organisme.
Le site français des Produits de la mer de Norvège vient d’intégrer la nouvelle recommandation de consommation. Mais, jointe par Rue89, la directrice du Centre des produits de la mer de Norvège en France minimise totalement le changement de recommandation :
« La recommandation précédente est in fine la même qu’aujourd’hui, la version actualisée est seulement plus précise sur les jeunes femmes et les femmes enceintes.
La Direction norvégienne de la santé précise dans la même publication que le challenge le plus important reste le fait que la population, y compris les jeunes femmes et les femmes enceintes, ne consomme pas assez de poisson. Il est aussi clairement expliqué que pour les femmes enceintes, la vitamine D, la vitamine B12, les oméga-3, l’iode et le sélénium contenus dans les poissons gras sont particulièrement bénéfiques. »
L’industrie du saumon et les pouvoirs publics ont décidément du mal à se remettre en question et feront tout pour protéger leur business aussi longtemps que possible.
Avec Diane Berbain