Une discussion entendue par bribes il y a quelques jours et la visite manquée de l’abbaye de Fontfroide à cause du prix hallucinant de l’entrée me donnent l’occasion de vous parler d’un argument dont j’ai toujours voulu écrire car d’extrême actualité et source de multiples débats.
Comme certainement vous le savez, les musées nationaux anglais ont supprimé le ticket d’entrée il y a une dizaine d’années. Comme toute décision drastique, cette mesure a généré des longues discussions parmi les politiques et dans la société civile. Cette expérience était basée sur l’observation de ce qui s’était passé dans certains musées britanniques qui, dans les années 1990, avaient introduit l’entrée payante et qui avaient vu diminuer le nombre de visiteurs, surtout des familles, des jeunes et des locaux.
Mais les statistiques parlent très clair : en dix ans de musées gratuits, le nombre des visiteurs a augmenté de 51%*, surtout parmi les jeunes et les touristes. Et dans les salles on voit effectivement une multitude de gens qu’on a pas l’habitude de voir quand on se rend dans les musées, excepté bien entendu les plus célèbres.
Cette mesure a transformé aussi la nature des musées, qui ont ainsi laissé tomber leur allure de lieux presque religieux consacrés à la contemplation de la beauté et de l’Art pour devenir des lieux de rencontre, de discussion, de découverte décomplexée. Je n’ai pas été à Londres, mais quand je résidais à Nice la Mairie avait éliminé l’entrée payante pour les musées municipaux et à ce moment-là je travaillais justement dans l’un d’entre eux. Je me souviens des craintes des gardiens du musée, qui avaient peur de se voir envahis par des hordes de visiteurs hors contrôle.
Je comprends tout à fait une certaine réticence vis-à-vis du touriste lambda qui débarque dans un musée avec une attitude de consommateur, comme il se rendrait à Disneyland ou aux Galeries Lafayette, mais cette crainte cache une attitude rétrograde que ce serait bien d’essayer de dépasser. Le musée, malgré l’étymologie du substantif, n’a rien à voir avec la divinité. Les œuvres des collections constituent le patrimoine historique et culturel d’un peuple et sont conservées en tant que témoignage d’une époque plus ou moins ancienne. Dans les pays où le poids de la tradition est moins présent que chez nous (normalement, ceux du Nord de l‘Europe et les Etats Unis) c’est plus facile de voir, notamment dans les musées d’art contemporain, des familles en visite avec les enfants, des jeunes revenant fréquemment et des touristes habitués. Le fait qu’il s’agisse de lieux accueillants, où il fait bon passer du temps assis à un café ou dans la librairie, n’y est pas pour rien. C’est sûr que, en faisant payer l’entrée dans un tel lieu, une grande partie du public ne pourrait pas l’envisager comme un lieu de vie, mais plutôt comme un luxe ou tout simplement un petit plus qu’on ne s’offre pas tous les jours.
Souvent, les détracteurs de la gratuité mettent le doigt sur le fait que cette opération coûte trop aux caisses de l’Etat : en effet l’abolition du ticket coûte 83 millions d’euros*. Mais, comme le directeur du Victoria & Albert Museum affirme, les tickets d’entrée représentent le 10% des recettes totales*. La plupart des musées britanniques est subventionnée par l’Etat et en partie par des donations privées qui ont augmenté depuis dix ans. De plus, les visiteurs peuvent laisser une offre libre, qui est souvent plus élevée du prix qu’ils paieraient pour le ticket d’entrée.
En France aussi le débat sur la gratuité des musées a sévi il y a quelques années. La ministre de la culture d’alors affirma que « la cul¬ture a une valeur, et parce qu'elle a une valeur, elle a un prix ». Comme si la valeur d’un objet – et notamment d’un objet d’art – se mesurait sur la base du prix d’entrée du lieu où il se trouve ! Payer un ticket signifie mériter d’entrer en communion avec l’œuvre d’art ? Signifie acheter le droit à s’approcher à la beauté artistique dont tous les autres seraient exclus ? Ou comprendre un peu plus de notre culture passée ou présente ?
Stefania
*source : le Journal des arts
Les photos de cet article sont des photogrpahies de l'artiste allemand Thomas Struth et font partie du cycle "Museum Photographs"