J’ai passé mes derniers milliers de pages à me piffrer de King et d’essais. Il y a un viaduc à construire entre « Bazar » et « Le syndrome Foccart : La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours », et disons que je m’y suis allègrement employé. Des mois que l’on se plaint d’une météo aussi gaie qu’un livre de Soljenitsyne et paf, soleil, allergie, bronzage et Perrier tranche. Et pendant que votre corps se dore et que vous tendez un bras mou vers votre poche tachée de café, les points de vente jouent aux lutins et le cordonnier. Après un sandwich poulet/antibiotiques et mon éternelle flânerie « je ne veux pas rentrer au bureau », mes petits yeux s’embuent à la vue des rayonnages flambants neufs chargés de nouveautés. Bien qu’ayant dépassé le simple phénomène de jetable estival, le polar a fort à faire contre une armée de poches jouvenceaux, eux même souvent en compétition avec une liseuse uniquement remplie de 5000 pages du trône de fer. Et au milieu coule « Limonov », que j’ai souvent confondu, à sa sortie, avec « Dans les forêts de Sibérie » de Tesson (mon cerveau fait parfois des amalgames douteux). Superbe photo en couverture côté pile, résumé catchy à souhait côté face et puis c’est un peu ma caution sérieuse au milieu du tome 154 de Dune et d’un essai très sérieux sur lampes modernistes. Отправьте ! (C’est censé vouloir dire « En avant ! », d’avance pardon si c’est une horrible insulte ou le nom latin d’une race de faucons pygmées).
L’avis de JB
Sur un air de Russie
Après le plutôt bon « Un roman russe », bam « Limonov » prix Renaudot en 2011, une biographie qui n’ennuie pas. Jusqu’au nom de sa ville de naissance, Nijni Novgorod, la vie d’Édouard Veniaminovitch Savenko, dit Édouard Limonov, est une place à l’avant d’un transiberien lancé à 800 km/h, presque science-fictionesque.
Wikipédia indique : « Truand à Kharkov, poète à Moscou, sans-abri puis domestique à New York, écrivain et journaliste à Paris, soldat en Serbie, dissident puis prisonnier politique dans l'ex-URSS, Limonov est candidat à la présidentielle russe de 2012. »
Carrère says : « Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. »
Bon, le gars a eu une vie incroyable, je veux dire vraiment. Un savant de mélange de Cizia Zyke, d’Arturo Bandini et de Jack London…Le pied. Spectateur d’une Russie sortie victorieuse mais meurtrie de la guerre, qui attendra un demi-siècle la perestroïka. Les privations, la vodka, les poèmes et toujours, partout, la fierté d’en être, constituant de la mère patrie, la sainte mère Russie. Il faut dire que l’homme, fils de militaire, voit très tôt sa candidature refusée. Une blessure à vie, jamais soldat mais toujours prêt à le jouer. Le rêve américain, l’écriture, les expériences et le retour au pays, triomphant. Il rêve de gloire, de reconnaissance et de femmes inaccessibles, une rançon qu’il finira par toucher du doigt, à la pointe de sa plume talentueuse. Pas de honte, peu de regrets, l’auteur russe passera pourtant par des moments où il se met en danger, SDF, homme trompé ou dissident emprisonné. C’est sa foi inébranlable en sa légende et en sa patrie qui le sortira souvent de situations périlleuses, lui qui finira par devenir un leader politique écouté et soutenu par plusieurs milliers de ses compatriotes. Une belle histoire de la Russie moderne, changeante et orgueilleuse, portée par un personnage à son image, la tête haute en haillons ou en costume.
Nazdarovié !
Vous le saviez déjà pour ceux qui avaient lu « un roman russe », mais Carrère sait écrire, ce qui ne gâche rien. Il ne se contente pas de décrire, de documenter ou de biographier, il fait un travail d’auteur.
Un irritant cependant. L’auteur se met en scène dans l’ouvrage, moins que d’autres (Houellebecq pour ne pas le citer) mais suffisamment pour que ça n’apporte pas grand-chose. La petite tirade en préambule un peu maso, pourquoi pas, j’aime bien :
« Né dans une famille bourgeoise du XVIe arrondissement, je suis devenu un bobo du Xe. Fils d'un cadre supérieur et d'une historienne de renom, j'écris des livres, des scénarios, et ma femme est journaliste. Mes parents ont une maison de vacances sur l'île de Ré, j'aimerais en acheter une dans le Gard [...].»
Connaitre et écrire Limonov c’est le thrill d’un auteur qui dit lui-même « qu’on ne peut pas dire que la vie m'a entraîné très loin de mes bases » et tant mieux. Chacun ses fantasmes, comme Limonov joue au soldat et le bloggeur à l’écrivain, fair enough. Tout le reste est en trop et casse le rythme de lecture, comme un bas de page qu’on aurait inséré au milieu du récit. Non pas que ce soit mal écrit, faux ou inintéressant, juste pas à propos au vue du reste de la structure.
« Limonov » n’est ni un roman ni du gonzo journalisme, c’est un conte, une biographie évocatrice, puissante, prenante qui respire tantôt les fumées des usines de Kharkov, tantôt la poussière des chambres de bonnes parisiennes. Paris qui joue d’ailleurs inlassablement son rôle, passage obligé des artistes, passant d’une studette minable au luxe du Flore si le succès leur tend les bras. Matrone acariâtre aux moulures fatiguées, elle continue de fasciner, poids de l’histoire ou véritable attirance enlacée dans une inextricable danse.
A lire ou pas ?
« Je vois ce livre comme une légende, un mythe pour les Français. Je n’étais pas parvenu à créer un mythe en France avec mes propres livres, Emmanuel Carrère a réussi. » dira un Limonov plein d'humilité en 2011 au Jdd. Modeste mais pas si éloigné de la réalité, le personnage fascine, servi par un très bon bouquin. Carrère sait écrire et raconter une histoire, des talents compatibles mais pas toujours associés. Rien d’autre à rajouter que je n’ai déjà écrit, j’ai beaucoup aimé, foncez.
Interviewé par Le Point pour la sortie du livre, Limonov aura cette réponse, extrait :
« -À quoi rêvez-vous aujourd'hui ?
Je ne rêve pas, je fais des projets et je les poursuis »