Acte 3, réveil de Brünnhilde (Siegfried: Lance Ryan)
Un compte rendu détaillé de cette mise en scène a été fait en janvier lorsque j'ai vu ce Ring mis en scène par Andreas Kriegenburg. Voir le compte rendu de Siegfried.
Quand on est à Bayreuth, qu'on a envie d'écouter Harteros dans Otello deux jours plus tard, et qu'entre Bayreuth et Otello, il y a Siegfried, il n'y a pas à hésiter, on prend n'importe quel billet à un bon prix et cette fois-ci je suis revenu à mes premières pratiques munichoises, des places debout (à 12,50€). Un peu de côté, dans la chaleur d'un juillet enfin estival, avec une vue partielle sur la scène (mais le souvenir ébloui de janvier se substituait aux espaces cachés), j'ai pu revoir Siegfried et j'étais content. Et quelle béance entre l'opéra comique de la veille, plein d'Auber et de Rossini, et cette musique écrite vingt ans plus tard complètement tournée avers l'avenir
Prendre un Ring en marche, et en descendre aussitôt après, c'est un peu difficile, tant on aimerait rester pour Stemme, tant on aurait aimé voir Terfel dans Walkyrie la veille... Mais n'est-ce pas, quand on n'a pas ce que l'on aime, il faut aimer ce que l'on a...et j'ai beaucoup aimé.
J'ai pu vérifier d'abord que l'émerveillement de janvier s'est immédiatement réveillé devant ce premier acte qui est une explosion de joie, de jeunesse, de vitalité là où d'habitude on a un Siegfried plutôt sombre. Ici, tout est vu selon le prisme et le regard de Siegfried qui s'amuse, qui découvre la vie, le monde, les hommes. Sans ces groupes de jeunes gens qui fabriquent tous les accessoires, qui sont les accessoires eux-mêmes, la fable ne peut avoir lieu. Sans les hommes, pas de Ring, pas fable, pas de récit. Et c'est bien là le sens de l'entreprise de Kriegenburg. De cette atmosphère de fable souriante qui illumine Siegfried, un Siegfried qui traverse les obstacles (qu'ils aient nom Alberich, Wotan/Wanderer ou Mime) presque sans s'en apercevoir ou même sans s'en émouvoir, qui joue dans la fraîcheur de la découverte. Un émerveillement, partagé par le spectateur: rappellerai-je l'arrivée du Wanderer au premier acte dans une prairie émaillée de tournesols, la forge où tout le monde s'amuse, devenue une sorte de jeu digne de Blanche Neige et les Sept nains, avec les paillettes qui figurent les étincelles et des lambeaux de tissu le feu effrayant, le Dragon magnifique fait de corps entrelacés qui se balancent, mes merveilleux murmures de la forêt et ces arbres faits de corps agitant des rameaux, cet oiseau dansant, danseuse, chanteuse (magnifique Anna Virovlansky), l'émergence d'Erda au milieu de rochers figurés par des corps peints en brun, ce réveil de Brünnhilde émergeant d'une mer en feu (simplement figurée par un dais de plastique transparent), où cet immense toile rouge sur laquelle repose un lit blanc qui est l'objet des longues hésitations de Brünnhilde pendant le duo. Un grand spectacle, une mise en scène qui fait date, comme la parabole de la fin du paradis et de la chute, une chute dans le monde et ces turpitudes que Götterdämmerung va montrer.
Musicalement, on reste à un très haut niveau: Kent Nagano stupéfie toujours par la clarté du propos, par l'équilibre des sons, par sa manière de ne jamais couvrir les voix, d'accompagner avec attention le propos du plateau. Ainsi du duo du troisième acte, très lent, qui suit les hésitations de Brünnhilde, et sa lente transformation qui aboutit à la résolution finale née de l'urgence d'un désir qui explose. Le spectateur qui attend cette urgence ne comprend plus cette Brünnhilde qui a voulu ce réveil et qui le fuit en même temps. Quelle indicible émotion lorsqu'elle s'enveloppe dans l'immense tenture rouge pour "dormir" et se protéger! Alors, longs silences, ralentis extrêmes, créateurs de tensions, pour exploser musicalement à la fin.
On retiendra aussi le magnifique second acte et surtout les murmures de la forêt où à la magie des images se fond celle d 'une musique tremblante, timide, qui finit par prendre chaque pore de notre corps, et presque nous ravir l'âme (oui, Wagner est dangereux, lorsqu'il est joué ainsi), et puis l'énergie désespérée du début du troisième, l'appel éperdu à erra, et le sentiment que toute cette énergie se perdra dans le désespoir de la fin. Oui, Kent Nagano propose là une interprétation vraiment exceptionnelle, maîtrisée, à la fois dramatique et poétique, un véritable discours qui nous parle, mais qui semble tressé à l'infini avec la vision du metteur en scène. Si Kirill Petrenko (qui succède à Nagano à Munich, rappelons-le) reprend ce Ring, il sera intéressant de confronter. Suel surprise et ombre au tableau ce soir, l'appel de Siegfried au cor, complètement raté, notes savonnées, couacs multiples, à croire qu'au dernier moment on avait changé le cor soliste et que le musicien se lançait sans préparation.
Quelques modifications par rapport à la distribution de janvier. À Lance Ryan succède pour les deux Siegfried Stephen Gould: ce n'est pas le même gabarit, ni la même allure, ni le même type de jeu. Ryan est plus svelte, plus juvénile, mais la voix de Gould reste toujours solide, large, bien appuyée, forte (incroyable chant de la forge, incroyable premier acte). Il fatigue nettement au troisième acte, mais sans que lke chant en soit profondément affecté, il finit dans l'honneur et le triomphe.
Thomas Johannes Mayer, Wanderer magnifique en janvier, est remplacé ici par Terje Stensvold, qui fait un premier acte extraordinaire de diction, d'interprétation, de puissance et de présence. Ce chanteur, déjà âgé, convient bien à la partie du Wanderer, plus fatiguée, et sa voix est parfaitement adéquate au personnage. Belle prestation, grande interprétation, intelligence du propos, triomphe final.
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke m'est apparu toujours un grand interprète de Mime, il propose toujours sa belle composition promenée sur de nombreuses scènes (Paris, Milan), mais quelque fatigue dans les aigus, quelques vilains sons auxquels il ne nous avait pas habitués. Il reste un très grand Mime.
On retrouve avec plaisir, un plaisir immense l'Alberich de Tomasz Konieczny, voix grave, sonore, diction im:peccable, paroles distillées, caverneuses, scandées avec une force particulièrement marquée:le duo avec le Wanderer reste un des grands moments de la représentation. Même plaisir à retrouver le Fafner moins fatigué, plus jeune, plus sonore de Steven Humes.
La Erda de Qiulin Ziang apparaît peut-être inférieure à ses prestations de janvier à Munich et de mars à Paris, mais elle reste une puissante Erda, à la voix évocatoire.
Enfin Catherine Naglestad, elle aussi sans doute moins en forme qu'en janvier (mais peut-être est-ce dû à la place que j'occupais où le son parvient quand même atténué): j'ai entendu quelques problèmes de respiration et au moins un aigu éliminé. Il reste que cette voix charnue, puissante, très contrôlée, fait encore un incroyable effet et que cette lente montée du désir est accompagnée par des effets impressionnants de la voix, tant dans les parties retenues, où elle réussit à contrôler le volume d'une manière exemplaire, que dans les aigus lancés et redoutables, culminant par la note finale, qu'elle est l'une des rares à vraiment tenir.
Que conclure, sinon que je ne regrette pas d'avoir revu ce spectacle et de me confirmer totalement l'avis émis en janvier; s'il y a un Ring à voir, c'est bien celui-là et il faudra guetter sa reprise les prochaines années. Et puis le Nationaltheater est l'un des lieux les plus agréables qui soient, plein de fantômes aimés, plein de souvenirs encore vivaces, plein d'échos des triomphes, et donc plein de ce passé qui fut aussi celui de ma jeunesse.
Wotan/Siegfried Acte III (T.J Mayer-Lance Ryan)