Tout jeune européen au chômage, s’il était informé de ses intérêts réels, devrait manifester pour le libre-échange.
Par Guy Sorman.
Si la négociation transatlantique aboutissait, ce que l’on devrait savoir d’ici une année, l’ensemble euro-américain constituerait le plus vaste marché au monde, relativement unifié. Le supplément de croissance annuelle qui en est espéré serait de l’ordre de 1 % par an, dit-on, mais toute prévision quantifiée est aléatoire. De même est-il présomptueux d’annoncer par avance qui bénéficiera de ce libre-échange et qui en pâtira ? On ne peut qu’en espérer, avec de solides raisons, un supplément de croissance globale en raison de spécialisations accrues, d’une meilleure division du travail, de l’agrandissement du marché : les bénéficiaires du libre-échange seront ceux qui en comprennent les mécanismes et les anticiperont.
Pourquoi négocier un nouveau traité de libre-échange alors que les droits de douane ont pratiquement disparu : leur niveau moyen des deux côtés de l’Atlantique est de l’ordre de 4%. Les obstacles aux échanges qui subsistent – les normes – apportent prétendument aux consommateurs un supplément de sécurité, d’hygiène, voire de culture nationale, raison pour laquelle le gouvernement français a exclu la production de films de la négociation. En vérité, les normes sauvegardent des rentes, des monopoles ou des habitudes ; elles favorisant des privilégiés bien abrités tout en nuisant au plus grand nombre. Cette querelle des normes qui nuisent à l’échange et aux gains de productivité, comme au libre choix du consommateur, concerne essentiellement les secteurs de l’automobile, de la santé et de l’alimentation.
Sur un marché ouvert, quels seraient les avantages compétitifs des entrepreneurs européens ? Considérables, certainement parce que l’Europe, la France en particulier, incarne un art de vivre qui fait rêver les Américains. Les marques « Made in Europe » bénéficieraient, au terme d’un accord de libre-échange, d’un capital de sympathie spontané. Anticiper sur l’accord exigerait donc de la part des Européens un effort accru de spécialisation, de quête de la qualité et de promotion des marques : les marques et la qualité constituent la seule chance pour l’Europe de se positionner entre les États-Unis qui ont l’avantage de l’innovation et la Chine qui a l’avantage du prix.
La négociation aboutira-t-elle ? Ce n’est pas certain car les lobbies brandiront des arguments nationalistes auxquels les peuples sont sensibles : ces intérêts particuliers sauront se faire entendre. À l’inverse, les bénéficiaires du libre-échange ne sachant pas à l’avance s’ils le seront, restent dispersés et n’ont aucune capacité d’organisation. Dans cette négociation asymétrique, il reviendra aux gouvernements, aux médias et aux économistes de soutenir la position libre-échangiste par la pédagogie. Ce combat pour une économie efficace est de même nature que le soutien aux politiques dites d’austérité alors qu’on devrait les appeler politiques de bon sens. La convergence de ces politiques de bon sens et de cette nouvelle zone de libre-échange serait le seul « plan de relance » qui permettrait aux Européens de renouer avec la croissance et l’emploi : la seule relance aussi qui ne coûterait rien aux contribuables.
Tout jeune européen au chômage, s’il était informé de ses intérêts réels, devrait manifester pour le libre-échange. Malheureusement, le manque d’éducation économique de base en Europe, le nationalisme de certains partis, la démagogie de publicistes ignorants, la propagande des industries subventionnées et protégées, vont rendre laborieux le chemin de la négociation. Les technocrates qui négocient, ne pourront aboutir qu’avec le soutien de l’opinion publique. Mais celle-ci est pour l’instant maintenue dans l’ignorance comme si le Traité était technique : en vérité, la survie du modèle européen en dépend. Voici des circonstances où l’on souhaiterait que des hommes d’État éclairés et persuasifs se révèlent.
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