Non, le blog de « bureau de style- atelier d’écriture » n’a pas changé de propriétaire ni de propos, c’est toujours un site ressources pour les écrivains mais j’ai pour projet de travailler et de faire travailler les stagiaires sur une « porte » créative liée à un de nos sens les plus puissants : le goût. Pour cela, j’ai trouvé aujourd’hui une cuisinière très inspirante qui fait de la préparation culinaire un art de vivre et concocte dans sa cuisine des œuvres qui n’ont rien à envier à nos petits textes…Son blog s’appelle « j’en reprendrais bien un bout ». Les photos qui illustrent ses plats sont si belles et évocatrices, le soin qu’elle met à tout décrire et préparer, l’intérêt qu’elle porte aux ustensiles, aux matières premières, aux différentes sortes de légumes et de fruits font déjà en soi, d’Isabelle, la maîtresse du lieu, une véritable héroïne de roman. J’aimerais bien d’ailleurs la connaître autrement que par site interposés car je gage qu’il y a dans ce perfectionnisme si fréquent des cuisiniers – et des auteurs ! – une part de François Vatel, organisateur des banquets du Roi soleil, qui sommeille en elle. Je lui souhaite bien sûr la flamboyante carrière de Vatel et non sa fin tragique. Il eût donc été dommage de ne pas transposer tout ça en littérature lors d’un exercice de style que je me propose – et vous propose – de faire.
illustration de Gustave Doré pour Gargantua, deuxième roman de François Rabelais écrit en 1534. Gargantua était un énorme mangeur.
Gastronomie et littérature, mariage voluptueux
Les rapports entre la gastronomie et la littérature sont de toute façon fréquents et fructueux : qu’il s’agisse du palais de Dame tartine, de l’incontournable madeleine de Proust, des goûters et déjeuners sur l’herbe abondamment décrits dans les livres de la Comtesse de Ségur, des formidables banquets de Rabelais, des gras festins de la Gervaise de Zola, des déjeuners et soupers fins des bourgeois chez le même, de la maison entièrement comestible de la sorcière d’Hansel et Gretel, jusqu’au merveilleux et célèbre cake d’amour de Peau d’âne. Vous trouverez d’ailleurs une liste quasi exhaustive ainsi que les extraits correspondants dans un portail dédié à la gastronomie, à cette page. Je ne pourrais faire mieux la liste est parfaite !
J’ai moi-même sacrifié au genre dans un registre érotico-gore, dans ma nouvelle « l’apprenti », publiée en 2007 aux Éditions Blanche, sous la houlette de Franck Spengler. L’histoire se passe dans le sous sol échauffé d’une pâtisserie-boulangerie traiteur : trois sœurs, un jeune livreur, beaucoup de farine et des plaques de petits pâtés à la fin dont je ne dévoilerai pas la recette car c’est tout l’intérêt du texte.
Le sucre et l’auteur
Comme il y a quelque temps je vous parlais des relations passionnelles qui unissent le café et les travailleurs intellectuels que sont les auteurs, je veux évoquer ici un autre péché mignon des inventeurs d’histoires : les sucreries. C’est bien connu le sucre est le carburant privilégié du cerveau, et au diable les esprits chagrins qui vont nous vendre les « bons » sucres lents (les nouilles et pois chiches par exemple) au détriment des vilains rapides (chocolats, chocolats, caramels et gâteaux à gogo) qui nous empoisonnent et nous gâtent les dents. Moi j’ai constaté un truc, le goûter de l’auteur, bien sucré dans le genre rapide, permet de redémarrer en fin de journée sur des idées fameuses et surtout d’éviter le trou noir du moral de 17h00, surtout l’hiver, quand la nuit froide nous tombe sur les épaules comme une enclume et fait se dire : « mes écrits ne servent à rien, je n’intéresse personne, je n’ai aucun talent ». Voir le post sur les pensées parasites ou celui sur le moral. En résumé, n’évitez aucun plat de haricots mais rajoutez-y toujours du sucre en poudre, votre humeur vous dira bien merci.
C’est donc dans cette perspective que j’ai choisi pour suivre de produire un petit texte sur mesure sur une des recettes sucrées d’Isabelle du blog « J’en reprendrais bien un bout ». Il se trouve que celle-ci excelle tout particulièrement dans la confection des desserts. J’ai choisi « le bras de vénus » (n’est-ce pas magnifique ?), autre nom pour désigner le biscuit roulé. De votre côté vous pouvez en faire autant à l’aide d’une des recettes d’isabelle ou d’autres…
Le gâteau roulé vu par un auteur
Biscuit roulé réalisé photographié par Isabelle du blog « J’en reprendrais bien un bout » (http://pucebleue-jenreprendraibienunbout.blogspot.fr/2008/04/bras-de-vnus.html)
Si on le regarde par l’un des bouts, on voit une drôle de moue. Tanche ou taupe boudeuse qui tire la lippe et refuse la discussion. Les bouts souvent, on les lui coupe, ça fait plus net et la pâtissière les nappe ensuite d’un apprêt bien couvrant : glaçage ou appareil lisse et épais dans des tons de nurserie. Ainsi vont les bûches de noël aux extrémités embeurrées et peignées de frais.
Celui-là est simple, on l’a laissé être de son caractère renfrogné de roulé ordinaire. A la coupe, on devine l’escargot qu’il a du être dans une vie antérieure. C’est un roulé pour l’heure du thé probablement. Son dos zébré de pistaches libres, de sucre glace tombé par là et d’amandes effilées agglutinées par bandes, n’exhibe pas ces parures de plastique – scies de bazars, champignons et nains de jardin – qui font la gloire des bûches de pâtissiers industriels, ni non plus ces montagnes de fruits confis et de roses en pâte d’amandes qui signent les tenues d’apparat de ses pareils chez le traiteur.
Pourtant, ce roulé du thé, du café de tous les jours, le roulé qu’on va débiter l’air de rien entre amis sur le recoin d’une table, au fil des conversations, est une vraie boîte à secrets.
La génoise, cette mémoire spongieuse des saveurs, tordue sur elle-même depuis la veille dans un torchon serré pour lui donner ce tour, conserve et retient ce qu’on veut bien lui confier. L’enroulé, silencieux, dans la nuit du réfrigérateur, a eu tout le temps de méditer sur le sens du mot « goût » lorsqu’on vient le chercher pour le mettre à table. Dans cette recette-ci, il est dit que la pâte est imbibée de liqueur de framboise diluée, je connais des roulés qui s’inspirent d’alcools plus forts…complices des vices de leur mangeur.
Et c’est au creux du plus profond du pli que l’on croit trouver le mot de la fin, où repose l’ultime saveur, celle qu’on est venue chercher dans l’intitulé du gâteau : « un roulé à… », « un roulé à…». Ici, c’est de la confiture de fraise. Tout est là croit-on, dans la confiture de fraise ou d’orange ou la crème au chocolat dont on va tartiner les entrailles de ce rôti étrange. Mais non. Tout n’est pas dans le parfum de la garniture. C’est la consistance qui, sitôt en bouche, fait nommer ce gâteau « le bras de vénus » déesse de toutes les voluptés, surtout les plus secrètes. On pourra rajouter toutes les crèmes et les appareils qu’on voudra, ce qui fait le sublime velouté du roulé, c’est cette douceur moelleuse évoquant le fameux bras de beauté, moins par sa forme allongée qui traverse la table, comme une invite, que par la tendresse infinie de la pâte amollie de liqueur, spiralant sur son secret de polichinelle, magnifiant café, thé, alcool, épices et fruits, tous ses compagnons de goût.