Il m’arrive parfois d’être un peu groupie. C’est rare, et je ne pousse pas mon vice à l’extrême, mais certains auteurs que je considère aujourd’hui comme de grands maîtres sont indispensables à ma survie ! J’attends donc leurs prochains ouvrages avec une ardente impatience, piaffant de joie lorsqu'on m’annonce qu’enfin – enfin ! – un nouveau roman va sortir. C’est l’état dans lequel j’étais quand ma représentante m’a mis entre les mains un feuillet d’explication montrant en gros plan la couverture du prochain Jean-Philippe Jaworski. Elle a dû voir mes pupilles s’illuminer de convoitise, et ma folie augmenter d'un cran lorsqu’elle m’a parlé de son ouvrage précédent réédité en tirage spécial et format collector. Faut pas m’faire des choses comme ça à moi ! Mon petit cœur se met à palpiter, mes narines frétillent avec leur vie propre et toute ma peau se hérisse de plaisir. Bref, autant dire qu’elle a compris qu’il fallait m’envoyer un service de presse de son nouveau roman illico presto et que j’allais certainement défendre ses poulains becs et ongles, malgré le manque flagrant (et honteux) d’amateurs de superbes, incroyables, inoubliables, romans de fantasy dans ma librairie.
Gagner la Guerre en tirage spécial
Bref. Ce nouveau roman, parlons-en. Même pas mort, le premier tome d’une trilogie intitulée Rois du monde, sort le 22 août 2013 aux éditions Les moutons électriques. J’ai encore un souvenir très fort de ma rencontre avec Jaworski en 2009 : c’était au Festival des Imaginales à Epinal, et comme à mon habitude, en bonne petite apprentie librairie effarouché, je me suis approchée un peu hésitante au stand où il dédicaçait. En fait, j’ai horreur des dédicaces : le plus souvent je ne sais pas quoi dire à l’auteur qui me fait face (encore plus s’il est étranger). Je ne suis pas particulièrement friande de signatures, que mon livre en contienne ou en soit dépourvu, c’est le texte qui m’intéresse d’abord, le reste importe peu. Je préférerais rencontrer les auteurs que j’apprécie autour d’un café, d’un verre, au milieu de gens qui vaquent à leurs occupations, qui ignorent la situation, plutôt que de les rencontrer face à une table dans un hangar, après avoir fait la queue un long moment, avec une foule de fans derrière moi qui attendent que je me pousse pour faire signer leur pile de livres, et devant moi un auteur qui a vu tellement de visages et signé tellement de livres qu’il ne se souvient même pas du dernier fan qu’il a vu et tombe certainement de fatigue. Bref, d’habitude je ne fais rien signer, sauf peut-être pour faire des cadeaux. Je me suis prêté à ce jeu et j'ai fait signer un exemplaire de Janua Vera ce jour là pour offrir un cadeau à mon pote A., dont j’avais oublié l’anniversaire (la honte). J'ai dû rassembler mes forces pour demander à Monsieur Jaworski si il y aurait une suite aux aventures de Benvenuto, héros de Gagner la guerre. Il m’a répondu qu’il pensait faire une suite aux Récits du vieux royaume, mais pas tout de suite. Là, il venait de commencer une autre saga, qui se passerait au temps des celtes, et que ça allait lui prendre du temps. Il faudrait attendre quelques années avant une prochaine parution. Nous avons bien papoté dix minutes, je pense, mon record, et j’ai pris sa carte de visite parce que j’espérais encore être libraire à l’endroit de mon apprentissage quand sa nouvelle œuvre sortirait… et j’espérais pouvoir faire une dédicace. Alors voilà, aujourd’hui sort la Première branche de Rois du monde, et je rêve toujours de faire une dédicace, mais autant vous dire que j’ai déménagé de librairie en librairie jusqu’à aujourd’hui… là où je travaille actuellement notre calendrier d’événements est bouclé jusqu’en novembre et je n’ai (malheureusement) pas l’autorité nécessaire pour imposer la venue d’un auteur de fantasy (la hiérarchie me rirait au nez). Et pourtant… et pourtant. J’ai dévoré Même pas mort en 24h. Certes, l’ouvrage n’est pas gros (300 pages), mais j’y ai quand même consacré les trois quart de mon dimanche. (le reste a servi à zyeuter World War Z, blockbuster sans surprise, et trois épisodes de Vikings, qui ne m’a pas dépaysé de ma lecture ! Mes dimanches sont palpitants.) Déjà, Jaworski s’attaque à une période de l’histoire où, soyons honnêtes, nous n’y connaissons goutte ! La Gaule avant Jésus Christ. Alors oui on repense à nos irréductibles Gaulois en Armorique, avec leurs braies, leurs tresses, leur barde, leurs sangliers, et on rigole bien. Mais au final, c’est une période de notre histoire que nous n’évoquons guère (ou très peu, surtout pour parler des romains) durant notre scolarité, et peu d’entre nous se penchent sur le sujet après ça. Moi je peux vous dire que Jaworski a du faire de sacrées recherches pour écrire ce roman qui foisonne de détails géographiques, historiques et mythologiques sur les clans qui habitaient nos contrés. Mais laissez-moi d’abord vous parler un peu de l’histoire… Bellovèse nous raconte ses souvenirs. A l’époque, il est un Roi sans royaume. Son oncle Ambigat, Roi des Bituriges, a tué son père, Sacrovèse, le Roi des Turons, lors de la Guerre des Sangliers. Depuis, il vit loin à l’écart de la cour avec sa mère, l’ancienne Haute Reine, et son frère Ségovèse. Le peu d’éducation aux arts et aux armes leur vient de la bonté du Seigneur local qui les surveille et qui s’est pris d’amitié pour eux. Or, à l’âge où tout celte de haute naissance devrait être un homme et rentrer en pagerie auprès d’un noble, le Haut-Roi ordonne que Bellovèse et son frère participent à la guerre qui gronde aux frontières Arvernes. Il espère ainsi se débarrasser de neveux qui pourraient devenir gênants avec le temps. Leur inexpérience des batailles et leur impétuosité devrait les achever rapidement. La prophétesse l’a elle-même prédit. Malheureusement pour Ambigat, Bellovèse se fait mortellement embrocher sur le champ de bataille… mais la prophétie ne s’accomplit pas, il n’est même pas mort.Au premier abord on dirait un roman de fantasy banal, avec des noms alambiqués et des régions inconnues. Mais je vous conseille de chercher qui étaient les Bituriges, où vivaient les Turons et où se situent les terres arvernes avant de considérer plus en avant l’œuvre de Jaworski. L’auteur fait revivre l’antiquité gauloise, les territoires celtes qui jalonnaient nos contrés avant l’apparition de J.C., avant les conquêtes de César. Les celtes s’étendaient sur une grande partie de la France, jusqu’en dessous des montagnes d’Auvergne (Arvernes), jusqu’aux régions du nord et au-delà du Rhin et des Alpes. Même pas mort n’est pas tant un roman de fantasy qu’un roman historique sur une période de l’histoire rarement (jamais ?) abordée. La magie qui traverse le roman de part en part s’inspire des croyances, de la mythologie celte de l’époque, où bardes et druides représentaient l’autorité spirituelle, artistique, médicinale et politique. Les esprits, les dieux, les prophétesses, frayaient avec les humains, vivaient sur la même terre, les choisissaient ou les condamnaient. C’est ainsi que Bellovèse nous raconte son histoire. Le narrateur semble être vieux et avoir beaucoup vécu lorsque commence son récit, qu’il transmet à un Ionien (des îles d’Ionia ? Un grec peut-être, ou de Ione, ancienne région d'Asie Mineure ?) pour qu’elle soit transmise par-delà sa mort. Même pas mort retrace son enfance et sa jeunesse, sa formation maladroite et quelque peu atypique dans les terres d’exils où le Haut-Roi les a confiné, sa participation désastreuse à la campagne de guerre de roi des Lemovices, sa destinée maudite après qu’il ait échappé à la mort, sa vision de l’entre-deux, et sa confrontation avec la réalité de son statut : de roitelet paysan il embrasse la possibilité de redevenir un roi légitime, lui dont le père était le Roi de Turons et la mère, fille du Roi des Bituriges. Autant vous dire que ce premier opus de Rois du monde m’a passionné. Je me redécouvre en ce moment une fascination pour l’histoire (passion que je possédais enfant parce qu’elle me faisait rêver, et qui m’a quitté avec le temps, comme souvent les passions désertent quand on est forcé de passer à l’âge adulte), et je suis déjà en train de chercher quels livres d’Histoire pourrait m’en apprendre plus sur cette période de notre pays qui reste totalement floue pour bien des gens.