Ce titre, un brin provocateur, est en réalité la traduction en français d’une vieille maxime allemande : « wie Gott in Frankreich leben », qu’on rendrait mieux par l’expression « être comme un coq en pâte ». Et vu le niveau de pessimisme des Français – « champions du monde » comme on le rappelait en ouverture de cette chronique (1) – il semblerait bien qu’il faille être Allemand pour mesurer tout le bonheur qu’il y a à vivre en France aujourd’hui !
Une étude publiée par l’institut BVA et le journal Le Monde en juin 2013 (2) vient illustrer une nouvelle fois cet écart bien français entre un moral collectif en berne et une réalité personnelle plus positive. Tout pessimistes qu’ils soient, les Français sont en effet 81% à se déclarer heureux dans leur vie, à titre personnel. Ils s’estiment globalement plutôt bien intégrés à la société française (89%), et déclarent mieux vivre en France qu’ailleurs dans le monde.
Alors, comment expliquer ce fossé entre pessimisme radical et bonheur ressenti à titre individuel ? L’institut BVA avance une hypothèse séduisante : « si les Français sont si pessimistes sur le plan collectif, c’est donc bien parce qu’ils ont une haute idée de leur modèle de société, (…) et pas du tout parce qu’ils se sentiraient intrinsèquement moins bien lotis ou moins heureux que les autres peuples ».
Nous voilà donc rassurés sur notre capacité « génétique » au bonheur ! Le climat de pessimisme ambiant serait donc alimenté par un constat bien triste, et pourtant bien réel : le modèle social (bon niveau d’emploi, législation protectrice, acquis sociaux…) qui a fait la réussite de la société française dans l’après-guerre aurait fait son temps. Et la société française n’en finirait plus d’en faire son deuil…
Si ce diagnostic sur l’état du pays semble être de plus en plus partagé par les experts et les décideurs, ce n’est pas le cas en matière de solutions. Personne ne détient la solution miracle qui règlerait une fois pour toute ce « mal français » du pessimisme. En posant le constat d’une obsolescence du modèle social français traditionnel, on semble en apparence cautionner les discours les plus libéraux, qui appellent à démanteler pour de bon ce modèle et toutes les normes et les protections qui s’y rattachent.
Mais ce serait oublier un peu vite qu’il n’y a pas de solution toute faite. On ne peut pas vanter les performances macroéconomiques de l’Allemagne sans pointer du doigt les sacrifices consentis en matière sociale, ainsi que les controverses autour de la loi Hartz IV, de l’absence de salaire minimum ou de la déréglementation poussée de certains pans entiers de l’économie.
Le modèle de l’après-crise reste donc largement à inventer. Et c’est là que réside toute la difficulté. Le sondage réalisé par BVA esquisse quelques pistes : le citoyen comme meilleur vecteur de changement, le soutien à l’innovation et à l’esprit d’entreprise, le tissu de PME, ou encore la qualité « Made in France » et la qualité de nos services publics et de notre modèle social lui-même. Autant de sujets qui ont déjà, ou viendront bientôt alimenter de futures chroniques de Vivement Demain ! D’ici là, bonnes vacances à tous, qu’elles se déroulent en France ou à l’étranger !
(1) http://www.delitsdopinion.com/theme/societe/vivement-demain-episode-1-sauvons-le-moral-des-francais-10398/
(2) Etude « Les Français et l’avenir », réalisée en mai 2013 par BVA pour le compte du journal Le Monde.
Marc-André Allard
Directeur Général Adjoint
Brain Value – Études & planning stratégique
Chargé de cours au CELSA (Paris IV-Sorbonne)