Les Damnés: La Malédiction des Petrova – Chapitre XXXIII

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

A la fois furieuse et bouleversée par son altercation avec Elijah, Noura avait décidé de rejoindre Milan et les enfants sans attendre le départ du vampire avec sa sœur. S’il devait partir autant couper les ponts le plus rapidement possible. Durant tout le chemin, la jeune femme se répéta cette phrase, qu’elle alterna avec quelques autres dans lesquelles elle énumérait tous les supplices qu’elle aurait souhaité infliger à Klaus,  sans vraiment s’en convaincre.

Lorsqu’elle arriva au village, après renseignement pris auprès d’un villageois, elle se dirigea vers la sortie de la ville où se trouvait l’auberge dans lequel Milan avait trouvé refuge après l’incendie de la ferme.  Le calme qui régnait dans la cour de l’établissement contrastait avec l’animation qui agitait les rues du village. Noura s’arrêta au beau milieu de la cour et inspecta les environs du regard. Quelque chose la dérangeait dans ce silence pesant que seuls  les cris des animaux de basse cour , qui erraient en liberté, venaient briser. L’endroit semblait déserté de toute présence humaine. Une appréhension inexplicable s’empara de la jeune femme lorsqu’elle poussa la porte d’entrée de l’auberge.

La grande salle était vide à l’exception d’un homme attablé seul à une table, le dos tourné à l’entrée. L’attitude de l’inconnu, qui ne se retourna  pas en entendant la porte d’entrée se refermer, mit aussitôt  Noura sur ses gardes. Elle chercha la présence de l’aubergiste ou d’une quelconque autre personne mais les lieux avaient l’air aussi désert que l’extérieur.

- Ne cherchez pas. Je les ai convaincus de partir…prendre l’air, expliqua l’homme en se levant.

Noura considéra avec attention et méfiance le jeune homme, qui avait l’air d’avoir approximativement son âge, s’approcher. Quelque chose dans sa démarche altière, dans son sourire  presque rassurant lui sembla étrangement familier.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle sur la défensive.

Le jeune homme sourit à nouveau en lui tendant une main que Noura ignora.

- Vous devez vous douter de qui je suis sinon  vous ne feriez pas preuve d’une telle impolitesse, répondit-il stoïquement en ramenant sa main le long du corps. Je m’appelle Neklan, je suis le cadet des frères. En revanche, vous, j’ignore laquelle des deux sœurs vous êtes.

A ces mots, une angoisse sourde étreint la jeune femme qui recula imperceptiblement.

- Où sont les enfants ?

- A l’étage avec leur père…sous bonne garde.

Noura jeta un regard inquiet vers la rambarde de l’étage supérieur derrière laquelle s’alignaient les portes des chambres et esquissa un mouvement vers l’escalier. Mouvement vite arrêté par le vampire qui lui barra la route.

- Ni pensez même pas. Je vous tuerai avant que vous n’ayez mis le pied sur la première marche, prévint-il sur un ton calme qui contrastait avec la menace qu’il venait de proférer.

- Otez-vous de mon chemin, le menaça Noura en le dévisageant froidement.

Amusé par l’aplomb de la jeune femme à l’air buté qui toisait froidement, Neklan plissa les yeux pour la considérer avec attention.

- Je parie que vous êtes Noura. Stanislas m’a beaucoup parlé de vous. Vous lui avez laissé un souvenir impérissable, reprit-il dans un éclat de rire qui horripila Noura.

- Laissez-moi passer, réitéra-t-elle de plus en plus impatiente.

Elle sentait inexorablement monter en elle une sensation désormais familière qu’elle tentait malgré tout de contenir de son mieux. Ne sachant pas qui se trouvait à ce moment-là auprès des enfants, elle ne pouvait risquer un geste malheureux qui aurait pu les mettre en danger.

- Ne vous énervez pas , Noura. Au final, nous voulons tous les deux la même chose : éviter que Klaus ne brise la malédiction.

- Oui, sauf que vous, vous voulez exterminer ma famille pour vous en assurer ! s’indigna Noura.

- Vous êtes un vampire maintenant. Le sort de ces humains ne devrait pas vous affecter.

Noura lui jeta un regard abasourdi devant ce qu’elle considéra être la plus grande stupidité qu’elle n’ait jamais entendue. Elle se demanda soudain par quelle espèce de miracle Elijah avait pu échapper à la démence qui touchait manifestement toute cette famille.

- Vous êtes en train de parler de ma famille !

- Famille que vous verrez disparaître, de toute manière, un jour ou l’autre. Vous devriez choisir votre camp de façon plus judicieuse.

- Dégagez de mon chemin avant que je ne vous écrase comme le sale cafard que vous êtes ! s’emporta soudain Noura en esquissant un geste en direction du vampire pour le remettre à sa place.

Mais avant qu’elle ait pu lancer le sort qui lui aurait cloué le bec et cloué au sol par la même occasion, elle eut le souffle coupé par une vive douleur dans la poitrine. Elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Elle se serait effondrée si le vampire ne la maintenait pas fermement contre la porte contre laquelle il l’avait violemment repoussée.

- Si j’avais visé légèrement plus à gauche, vous ne seriez plus de ce monde, souffla-t-il en accentuant la pression du pieu dans la poitrine de la jeune femme.

- Ne la tuez pas tout de suite, Neklan. Elle doit d’abord nous dire où se trouve sa sœur, lança une voix provenant du premier étage.

Noura leva les yeux vers la jeune femme rousse accoudée à la rambarde de l’escalier et qui regardait la scène avec un sourire amusé. Elle tenta de résister mais la douleur qui lui brûlait les chairs la fit rapidement sombrer dans l’inconscience.

~*~

L’obscurité s’était soudainement abattue sur les montagnes alors que l’après midi touchait à peine à sa fin. Au dessus du château, un ciel bas et couvert laissait s’échapper les premières gouttes d’une pluie lourde qui s’écrasèrent bruyamment sur les pavés de la cour. Anya se retourna une dernière fois vers Elijah, resté en retrait et hésitant à partir, avant de franchir le seuil de la porte libérée du sort de Véra. Elle lui adressa un dernier sourire et un signe de tête rassurants pour l’inciter à  la laisser seule comme l’avait exigé Klaus dans leur accord. Le vampire regarda la jeune femme s’engouffrer à l’intérieur avec une réelle appréhension.  Le peu de détails qu’Anya avait consenti à lui apprendre sur la malédiction n’avait pas réussi à pleinement le  rassurer car il ne savait que trop bien que si Klaus ne pouvait pas la tuer, rien n’empêcherait son revanchard de frère de lui faire payer  ce qu’elle avait fait d’une manière ou d’une autre. Il se fit violence un long moment pour ne pas se précipiter à l’intérieur mais il devait respecter le marché conclu et surtout retrouver Noura qui, partie précipitamment, n’était pas réapparue avant leur départ.  Il inspira profondément, jeta un dernier regard vers les hautes fenêtres desquelles n’émanait pas la moindre lumière et  finit par tourner la bride de son cheval pour s’enfoncer à nouveau dans la forêt.

Immobile dans le vaste hall d’entrée, Anya n’entendait que le bruit de sa respiration saccadée qu’elle peinait à maîtriser. Un courant d’air froid qui s’engouffra soudainement à l’intérieur  la fit frissonner. Tremblante de froid, elle se  recroquevilla dans sa cape trempée avant de se décider à s’avancer vers la porte de la grande salle restée entrouverte et par laquelle s’échappait une faible lueur. Elle la poussa légèrement  et resta immobile sur le seuil. Il était là, lui tournant le dos, les deux mains posées sur le manteau de la cheminée. Elle savait pertinemment qu’il avait détecté sa présence et assimila ce silence prolongé comme le signe que son état d’esprit n’avait pas changé depuis son départ.

Furieux contre lui-même d’éprouver un tel trouble à la savoir, là, à quelques mètres de lui, sans artifice, Klaus gardait les yeux  obstinément posés sur le feu qui dansait dans l’âtre. Cette faiblesse le rendit fou de rage. Il  serra les poings et lâcha entre ses dents :

- Comment es-tu entrée ?

Anya sursauta en entendant sa voix résonner dans le silence de la grande salle.

- J’ai levé le sort de Véra, répondit-elle en s’avançant prudemment.

Un ricanement dédaigneux accueillit l’explication de la jeune femme  qui se figea instinctivement.

- Il faut que je m’attende à des effets secondaires indésirables ou tu as enfin appris à te servir de la magie correctement avec les années ? railla-t-il.

Piquée au vif par la provocation, Anya plissa les yeux et fusilla du regard le vampire qui s’obstinait toujours à lui tourner le dos.

- Je  peux difficilement créer plus indésirable que toi, lâcha-t-elle de manière irréfléchie.

 Anya se raidit et regretta aussitôt ses paroles en le voyant se détacher de sa contemplation des flammes et se retourner enfin vers elle, le visage fermé. Klaus resta silencieux un moment qui apparut une éternité à la jeune femme. Il la dévisagea comme s’il la voyait pour la première fois. Il fut surpris de voir ce visage si familier lui paraître tout d’un coup si étranger. Il chercha dans ses traits affinés et plus durs, dans son regard plus sombre, les expressions juvéniles et malicieuses qu’il lui avait connues, mais en vain. La jeune fille insouciante avait fait place à une femme déterminée dont le regard résolu le fascina et le troubla.  Il  s’approcha lentement. Elle ne put s’empêcher de reculer  pour garder un maximum de distance entre eux, mais elle se trouva vite acculée contre le mur, le souffle court, le visage crispé du vampire beaucoup trop proche du sien pour qu’elle puisse rester impassible. Elle tacha malgré tout de soutenir ce regard insistant qu’il posait sur elle pour masquer la panique qui l’envahissait.

- Tu as changé…..depuis avant-hier, ironisa-t-il pour masquer son propre trouble. Je suppose que c’est Elijah qui t’a amenée jusqu’ici. Où est-il ?

- Parti rejoindre Noura pour lui faire ses adieux…., articula-t-elle la gorge sèche.

Un sourire narquois se dessina sur les lèvres du vampire.

- Je crois que ta sœur n’a pas fini de me détester, ricana-t-il.

Anya le dévisagea avec une expression de perplexité si prononcée qu’elle fit subitement disparaître l’air satisfait du vampire.

- Elijah est resté le même malgré sa transformation, il laisse sa part d’humanité prendre le dessus sur sa nature de vampire. Pourquoi es-tu incapable d’en faire autant ? Pourquoi acharnes-tu à vouloir tout détruire autour de toi ?

Ce fut au tour de Klaus d’afficher un visage médusé :

- Tu as le culot de me poser ces questions ? lâcha-t-il entre ses dents en s’efforçant de contenir la colère qu’il sentait l’envahir. La véritable question est : pourquoi, toi, tu t’acharnes à vouloir me pourrir la vie ?

Anya hésita un instant avant de répondre, craignant d’envenimer une situation déjà plus que tendue :

- Tu as tué mon père, je te rappelle…, finit-elle par répondre.

Klaus leva les sourcils, stupéfait, et préféra s’écarter de la jeune femme pour éviter tout geste malencontreux qui pourrait échapper à son contrôle tant il avait les nerfs à vifs. Il se détourna et se passa une main sur la nuque pour tenter de retrouver son calme.

-  Tu veux vraiment jouer à ce jeu Anya ? reprit-il.

Anya se raidit  contre le mur en le voyant à nouveau s’approcher dangereusement.

- Je t’ai pris ton père…c’est vrai. Et toi que m’as-tu pris ? Tu m’as privé de mon humanité, de ma mère, d’une partie de ce que je suis. Tu m’as fui en emmenant notre fils. J’ai appris son existence par la bouche de mon frère ! Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant de lancer cette malédiction ? s’emporta Klaus.

Anya resta sans voix, incapable de répondre à cette question qu’elle s’était posée si souvent. Elle sentit les larmes lui brouiller la vue.

- Je suis désolée…, bredouilla-t-elle en baissant la tête  pour fuir le regard brillant de colère braqué sur elle.

Mais ce geste ne fit qu’attiser un peu plus la colère du vampire qui se maudissait déjà d’avoir fait étalage aussi stupidement de ses états d’âmes et se sentait maintenant fléchir devant les larmes de la jeune femme.

- Je t’interdis de faire ça ! Je t’interdis d’essayer de m’amadouer ! hurla-t-il en envoyant son  poing contre le mur à quelques centimètres du visage de la jeune femme.

Anya poussa un cri de surprise et porta instinctivement ses mains à ses oreilles. Elle tenta de se dégager du mur contre lequel elle était prisonnière mais elle se vit agripper sans ménagement à la gorge :

- Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer, souffla-t-il en la forçant à le regarder en face.

Tétanisée, les jambes tremblantes, Anya tenta de reprendre ses esprits et répondit précipitamment en sentant les doigts du vampire s’enfoncer davantage dans sa chair :

- Parce que tu as besoin de mon sang pour lever la malédiction, articula-t-elle avec difficulté.

Sceptique, Klaus lâcha malgré tout prise. Ils se dévisagèrent un long moment lorsqu’une voix les tira  de leur affrontement silencieux.

- Il me semble qu’il s’agit, au contraire, d’une excellente raison pour la tuer, intervint Viktor en apparaissant dans l’embrasure de la porte.