Les mangas manquent de personnages qui meurent et qui ne reviennent pas. Rien de tel qu’une sentence irrémédiable pour apporter tout son sel à la dramaturgie, à une vengeance, à la victoire d’un héros… Bref, les séries manquent de morts définitivement enterrés, de RIP, de clap de fin.
NÉANMOINS, certains titres choisissent d’aller jusqu’au bout de leur idée quitte à en choquer quelques uns au passage, en tuant à tour de bras. C’est le cas d’Akumetsu, que Taïfu remet en lumière ces dernières semaines, pour lui donner une seconde vie, et dont je viens de lire les trois premiers volumes.
Cette série est signée par un duo : Yoshiaki Tabata au scénario et Yugo Yûki au dessin. Ces deux hommes travaillent ensemble depuis longtemps, du remake de Go Nagai, Shin Mazinger 0, au plus récent Wolf Guy chez Tonkam. Akumetsu est constitué de 18 volumes qui sont parus au Japon de 2002 à 2006 dans le Weekly Shonen Champion d’Akita Shoten puis de 2006 à 2009 chez Taïfu Comics en France.
Voici un titre plutôt violent à ne pas mettre en toutes les mains, entre critique sociale et règlement de compte musclé. Le héros s’y lance dans une chasse à l’homme, pour traquer le mal sous toutes ses formes et faire expier leurs fautes à des criminels intouchables, par des sentences sans appel et sans pitié. Du brut de décoffrage et des litres de sang au programme !
A mort le mal !
Fin du 20e siècle. Le Japon, numéro 2 mondial, est en réalité une puissance économique déchue et sous perfusion, qui croule sous une dette de 700 billions de yen (ou 5 000 milliards d’euros à l’époque). Après l’éclatement de la bulle spéculative au début des années 90, les marchés japonais sont au plus bas et les biens immobiliers ont perdu jusqu’à 90% de leur valeur. Après une décennie perdue de récession, le chômage continue d’augmenter, les entreprises ont perdu leur compétitivité, les banques refusent les demandes de crédits des entreprises alors qu’elles comblent de l’autre coté leurs pertes avec de l’argent public. Alors que le pays et ses habitants subissent chaque jour cette crise, rien n’avance ni ne bouge dans ce pays de bureaucrate où règne la loi du silence et la corruption des élites.
Mais un homme a décidé de prendre les choses en mains. Son but : éradiquer le mal du Japon. Son nom : Akumetsu. Sa méthode : simple, trouver les méchants… Et tous les buter ! Héros sans pitié caché derrière un masque de démon, il traque sans relâche la vermine de tous bords : banquiers véreux, politiciens avides de pouvoir, bureaucrate sans âme ou bôsôzokus qui pillent leurs prochains… Tous vont y passer et vont payer pour leurs crimes. Une fois tout le mal éradiqué, le Japon pourra peut-être renaitre…
Seulement voilà : en rendant la justice Akumetsu meurt et sa tête explose… Avant qu’il ne revienne à la vie pour une nouvelle mission contre le mal ! Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
Le Japon, paradis des criminels ?
L’un de points les plus flagrants dans sa pérennité est le système des Amakudaris : un ensemble d’hommes forts issus de différents gouvernements qui vont de ministère en conseil d’administration de grandes boites publiques ou privées puis se font remercier avec des bonus très confortables à la clé. Un mélange entre trafic d’affluences et parachutes dorés qui défraient régulièrement la chronique et qui se veut symptomatique d’une élite refermée sur elle-même, préférant encore la consanguinité au renouvellement.
Akumetsu dresse donc un portrait d’une élite complétement pourrie, ce qui pourrait laisser penser à une caricature populiste de notre point de vue hexagonal. Mais le scénario n’est pas forcément si fou que ça lorsque l’on parle du Japon, un pays qui détient un record de scandales de corruption des gouvernements et des élites au sens large.
Néanmoins, si le combat est bien celui du japonais lambda contre une forme d’oligarchie, ce manga refuse la simplicité en incorporant régulièrement des notions d’économies et de politique dans son récit, pour que lecteur puisse mieux s’approprier les tenants et aboutissants et ne pas être un simple mouton révolutionnaire. On nous explique donc le système des Amakudaris évoqués plus haut mais aussi le mode de financement des banques, la gestion de la dette publique, le fonctionnement bureaucratique des forces de polices, etc.
Même s’il dénonce clairement les dérives des hommes hauts-placés, le manga évite heureusement le postulat binaire : élite = méchant / peuple = gentil. Parmi tous les politiciens détestables, les deux mangakas laissent planer un doute plutôt favorable concernant la probité et les motivations du premier ministre Murase, qui ressemble furieusement au très populaire Jun’ichiro Koizumi, premier ministre du Japon de 2001 à 2006. Certains éléments du système apparaissent également comme droits et intègres, même s’ils sont rares. Enfin, de l’autre coté de l’échelle sociale, Akumetsu s’en prend également à de nombreux motards hors la loi qui tabassent et volent leurs concitoyens. Une occasion d’ailleurs d’écorner l’image japonaise du bosôzôku qui serait un bandit au grand cœur. Le manga use sans abuser de clichés forts dont certains cachent certainement une part de vérité, instaurant le doute dans l’esprit du lecteur sur le niveau réel de déchéance du Japon au début du 21e siècle.
En tout cas Akumetsu, lui, s’est déjà fait son opinion, et il est là pour faire place nette !
Akumetsu, le héros-démon
Face à un peuple japonais dont la devise est « le clou qui dépasse appelle le coup de marteau« , l’arrivée d’un justicier tonitruant est tout de suite amusante. Mais on constate que ce défenseur des opprimés est tout aussi inquiétant que son masque. Son nom Akumetsu ou « Exterminer le mal » en français est à prendre au premier degré : sa première sentence sera rendue à coup de hache dans la tête de l’accusé !
Rien à voir avec un justicier qui a rendu le malfaiteur aux autorités et qui s’en va, sous le soleil couchant, avec un ‘I am a poor lonesome cowboy’. Akumetsu connait à chaque fois le même destin que sa proie, avec plusieurs balles dans le corps ou victime d’une chute de plusieurs dizaines d’étages, avec son coupable sous le bras. Pour des raisons que l’on ne connait pas encore, ce tableau déjà bien ensanglanté s’achève par l’explosion retentissante de sa tête.
Derrière la mystérieuse identité de ce démon se cache à priori un lycéen du nom de Shô à qui on a confié un pouvoir étrange, une sorte de mélange entre ubiquité et immortalité qui lui permet d’être à plusieurs endroits au même moment plus ou moins à l’infini, et de ré-apparaître frais comme un gardon même quand sa tête vient d’exploser en direct au journal de 20h.
C’est donc une quête des plus inhabituelles dans son ton et dans sa forme que nous ont proposé Yoshiaki Tabata et Yûki Yogo, violente et frontale mais toujours aussi actuelle dix ans après sa parution. Taïfu est donc bien éclairé de nous lui redonner une seconde chance. Le seul regret qu’on puisse avoir est que la série n »a pas bénéficié d’une nouvelle édition de meilleure qualité car les vieux tomes avec un papier de qualité moyenne commence à accuser le nombre des années. Dommage mais pas rédhibitoire cependant, car Ototo vous propose volume 1 à 3 euros seulement, avec une couverture collector.
Il ne reste qu’à souhaiter qu’Akumetsu connaisse une nouvelle jeunesse et un nouveau tirage et que, comme le chocobo, vous vous lanciez vous aussi dans cette quête de justice au sein d’un monde sans foi ni loi, pour éradiquer une bonne fois pour toute le mal !
Hell yeah !
Fiche descriptive
Auteur : Yoshiaki Tabata (scénario) & Yûki Yogo (dessin)
Date de parution du dernier tome : 2006
Éditeurs fr/jp : Ototo / Akita Shoten
Nombre de pages : 192
Prix de vente : 6.99€
Nombre de volumes : 18/18 (terminé)
Visuels AKUMETSU © YOSHIAKI TABATA / YUKI YOGO Originally published in Japan by AKITASHOTEN
Pour vous faire un avis, le trailer est disponible ici. Pour en savoir plus sur les auteurs, vous pouvez toujours faire un tour sur leur blog ou sur Twitter.