*** Je tiens à remercier Clémence Lhoste et les Éditions rue fromentin pour m'avoir permis de découvrir ce titre ***
Traductrice : Camille Lavacourt
L'hisoire: Pourquoi la vie de famille est-elle si compliquée ? Et comment faire quand la moindre conversation peut déclencher un drame ?
Les femmes de la famille Kelleher se posent les mêmes questions mais n'y apportent jamais les mêmes réponses. Réunies pour une dernière fois dans leur maison de vacances du Maine, Alice (la grand-mère), Kathleen (la mère), Maggie (la petite-fille) et Ann-Marie (la belle-fille), tentent de vivre ensemble malgré les secrets et les discordes passées. Cet été bouleversera leur existence.
Mon avis : Je vous avoue que je ne savais pas tellement à quoi m'attendre en ouvrant Maine. Un fresque familiale ? Une sombre affaire de jalousie et de rancœurs ? Quoi qu'il en soit, les romans américains de ce type attisent toujours mon intérêt, et j'étais plutôt contente de m'y mettre, malgré mes quelques appréhensions. Dès les premières lignes, J. Courtney Sullivan a su me charmer avec une plume simple et limpide, idéale pour immerger promptement le lecteur dans l'intrigue. Je me suis laissée prendre au jeu, me plongeant avec plaisir dans les méandres des relations entre les membres de la famille Kelleher...Dans Maine, tout est affaire de femmes. Si les hommes sont bel et bien là, ils restent en arrière plan, se contentant d'apparaitre ça et là au gré des divagations féminines. Et ces femmes, justement, sont au nombre de quatre : Alice, la matriarche, Kathleen, sa fille, Ann Marie, sa bru, et enfin Maggie, la fille de Kat (si vous êtes déjà perdus, sachez qu'il y a un petit arbre généalogique en fin d'article). Ces quatre femmes, bien qu'elles partagent le même nom, n'ont absolument rien en commun : Alice ne supporte pas sa fille, qui elle-même ne supporte pas sa belle sœur. Maggie surnage au milieu de tout ça, essayant de concilier au mieux les caractères de chacune. J. Courtney Sullivan leur donne la parole tour à tour, le lecteur apprenant à les connaitre au fil de leurs pensées. Contrairement à ce que l'on pourrait croire en lisant la quatrième de couverture, la confrontation entre nos quatre narratrices n'arrive que bien après la première moitié du livre, dans les 100 dernières pages. Malgré tout, elles ne cessent de se croiser, que cela soit en pensées ou en réalité : elles semblent obsédées les unes par les autres, perpétuellement en conflit, rongées par les rancœurs et les blessures laissées à vif. Autant vous dire que lorsqu'elles se retrouvent toutes les quatre dans la maison de vacances familiale, le calme est loin d'être assuré.
Au centre de toute cette folie se trouve Alice. Alice, première et dernière narratrice du roman. Alice, dont les rêves ont été brisés à la mort de sa sœur, une mort qu'elle ne s'est jamais pardonnée. Alice, une femme froide, rancunière, intraitable, mais profondément séduisante et consciente de sa beauté. Si on ne s'attardait que sur les chapitres des autres narratrices, et donc sur la vision qu'elles ont d'Alice, on se laisserait volontiers convaincre que cette vieille femme n'est rien d'autre qu'une peau de vache, égoïste au possible et volontairement méchante. Pourtant, quand J. Courtney Sullivan lui donne la parole... On sent toute la souffrance qui se détache de son personnage. Une souffrance telle qu'elle ne pouvait pas trouver d'autre exutoire qu'une méchanceté inconsciente, parfois gratuite. Elle possède une très haute estime d'elle-même, trop haute, plaçant systématiquement les gens qu'elle côtoie en deçà de sa propre personne. J'ai notamment noté une de ses pensées, particulièrement révélatrice (à mon sens) de ce pan particulier de son caractère : "Paul Doyle était un gendre parfait : il adorait Alice". Elle ne doit rien à personne, et le fait bien comprendre. A l'inverse, toute sa famille doit être aux petits soins, ne jamais la brusquer, et ne surtout pas la décevoir. En somme, c'est un personnage complexe, qui a provoqué en moi des sentiments ambivalents : attachement, colère, compassion, dégoût. Et intérêt, surtout.
Ann Marie, elle, a tout de la parfaite femme au foyer américaine. Vous voyez, un peu dans le genre de Bree Van de Kamp. Elle s'est battue pour s'élever socialement, et a mis le grappin sur le fils d'Alice, Patrick. Contrairement aux deux filles d'Alice, elle fait tout pour prendre soin de sa belle-mère, y mettant autant de cœur qu'elle en a mis pour élever ses trois enfants. Attachant énormément d'importance aux apparences, elle ne supporte pas la moindre fausse note, et veille perpétuellement à l'image renvoyée par sa famille. Je l'ai trouvé extrêmement superficielle, dans un premier temps tout du moins. Puis J. Courtney Sullivan gratte un peu la surface, enlevant le vernis et la couche de protection : Ann Marie nous apparait alors comme une femme profondément seule et triste, assistant dans une impuissance rageante à l'effondrement du monde parfait qu'elle s'est créé. Tenue de maintenir un équilibre qui n'existe plus, on la sent perdre pied au fil des pages... Je me suis sentie d'autant plus proche d'elle qu'elle n'a jamais été parfaitement intégrée à la famille de son mari : c'est une "pièce rapportée" (quelle horreur, cette expression !), et se doit donc de faire profil bas. Tiens, comme c'est étonnant ! Sa solitude m'a effrayée et me l'a rendue attachante... et ce n'était pas gagné, pourtant.
Kathleen est pleine de ressentiment. Envers sa mère, son ex-mari, son frère... Mais envers sa mère en premier lieu. On perçoit chez elle aussi une grande souffrance, résultat de son enfance chaotique et des relations extrêmement conflictuelles qu'elle entretient avec Alice. Elle pâtit de l'apparence parfaite d'Ann Marie, et subit avec d'autant plus de force les critiques des uns et des autres. Et pourtant... C'est peut-être la plus heureuse des quatre. Elle semble avoir trouvé son équilibre et, si les traumatismes sont encore là, elle est désormais capable de faire (plus ou moins) abstraction des critiques, passées ou présentes. J'ai beaucoup aimé son personnage même si, comme pour les autres, elle connait sa part d'ombre.
Maggie, enfin... C'est celle dont je me suis sentie la plus proche, peut-être parce qu'il s'agit de la plus jeune (elle a tout de même dépassé la trentaine), mais surtout en raison de son caractère. Et c'est sans doute celle qui a été la plus épargnée par la folie destructrice des Kelleher, parce que pas directement placée sous la houlette de Alice. Malgré cela, elle souffre extrêmement du désintérêt manifeste de sa grand-mère pour elle, et va tout faire pour nouer des liens. Son besoin d'amour est démesuré, sûrement trop grand pour être totalement satisfait. Malgré tout, j'ai la secrète certitude que c'est celle qui s'en sortira le mieux. Ce séjour lui aura permis de mettre les choses à plat, avec ses proches mais aussi avec elle-même.
Nous apprenons à connaitre ces quatre femmes, nous suivons avec délice leurs échanges. J. Courtney Sullivan nous tire parfois la larme à l'oeil, nous fait sourire, capture notre attention. J'ai trouvé son roman exceptionnellement bien écrit, moi qui n'aurait peut-être pas parié dessus d'un premier abord. J'ai été assez effarée de voir avec quelle facilité je m'étais plongée dedans, avec quelle facilité j'avais avalé ses 450 pages. La trame est très bien menée, notre intérêt sans cesse attisé. On se prend à espérer pour ces femmes qui nous paraissent étrangement proches, à avaler les pages pour voir où tout cela les mènera. Et, je vous le dit : vous ne serez pas déçus du voyage.
En bref, un roman à quatre voix bouleversant, qui m'a captivée de la première à la dernière ligne : le genre de belle découverte qui n'arrive qu'une fois de temps en temps !
Coup de coeur !