Ce n’est plus un scoop pour vous : WhoTheFuckAreYou mouille le maillot et bien plus encore cet été pour s’infiltrer dans les plus grands festivals européens. Pas de mystère non plus quand on vous dit qu’on le fait à l’ancienne avec notre sac vissé sur les épaules, un mélange chaud dans une bouteille en plastique qui a fondu dans la paume de notre main gauche et à vous d’imaginer ce qu’on fait avec la droite. Pour ce vingt cinquième anniversaire, les Eurockéennes de Belfort mettent les petites cannettes dans les grandes et nous gratifient d’une journée de débauche supplémentaire. L’excitation est au maximum et malgré l’ancienneté, on espère sincèrement qu’on baisera nos femmes avec toujours autant de panache après vingt cinq ans d’embrouilles. Il y a trois années de cela, le festival était au fond du bac avec une programmation ambitieuse et une courbe de fréquentation digne des krachs boursiers les plus improbables. Aujourd’hui, c’est le revival du rock et surtout un vrai test pour voir ce que les bacheliers tous frais et les anciens ont dans les tripes. Tout glisse assez allégrement, de la préparation du sandwich relativement équilibré (dans lequel on y trouve plus de salade que de jambon) à la piste cyclable qui nous amènera de Belfort à la presqu’île du Malsaucy, sans frontale pour le retour. Les évènements les plus grands s’accompagnent toujours des repas les plus délicieux, délectez vous donc d’une orgie pratiquée dans les règles de l’art.
Chapitre 1 : l’apéritif
Nous étions intimement convaincu que les festivaliers habitués à une histoire en trois tomes allaient être pris au dépourvu quand la boue fut venue, un peu comme si l’apéro avait été organisé à l’arrache en attendant le repas. Mais que nenni ! C’est dans une belle argile grésante bien rouge, douce, légère et collante qu’à 19h pétantes un amas d’animaux est lâché dans la nature pour Gary Clark Jr. Ce texan fait l’effort d’avoir une prononciation aussi limpide qu’un Ricard cristallisé. Il nous amène doucement mais sûrement vers des mélodies à la fois blues/rock qui ont certainement dû plaire à Alicia Keys puisqu’il a enregistré avec elle très récemment deux chansons à New-York.
Le temps de monter une équipe sérieuse, on redescend la colline pour voir Asaf Avidan, sa coupe chelou et sa mélancolie. En fait, « le mec, quand y chante, on a l’impression qu’il s’est fait mal, genre doigt de pied pété sur le lit ». Oui, Asaf Avidan pour les moins romantiques d’entre nous c’est ça, un mec qui a mal. En dehors de ça, nous apprécions ses enchainements propres et calés. Et même si Nobody Can’t Stop a Man From Lying, on voit que le bonhomme a bossé le truc.
Alt-J (∆) sera pour nous l’agréable surprise de cette édition. Nous les avions vu jouer au off du Montreux Jazz la saison dernière : catastrophique. Et sans vouloir être médisant, nous étions convaincus qu’ils faisaient partis de ces groupes qui savent faire des albums designés pour les pubs mais pas de lives. Faux ! Et en plus, tout est réuni pour briller : notre scène préférée, du sable dans les bottes (on sait pas comment on s’est démerdé), un soleil rose, un ciel orange, bref un florilège exceptionnel pour notre premier coucher de soleil. La voix de Joe Newman, nous emporte partout, sauf à Leeds endroit d’où est originaire le groupe. Non, Alt-J (∆) n’est pas condamné à faire des musiques de film ou de pubs et oui ce groupe existe avec encore de belles années devant lui à condition qu’ils nous sortent un deuxième album.
Nous ne prenons pas la peine de passer par la case –M– comme un emblème pour une poignée de cacahuètes grillées et salées à sec et on se dirige vers Wax Tailor. Mais on se rend vite compte que c’est lui qui nous a grillé et salé à sec. Serait-il pote caché des C2C ? On tacle un peu, mais pas de cadeaux, l’apéro est bientôt fini. On quitte son début de set chaotique pour retrouver Joey Bad$$ le rappeur underground de Brooklyn, NY. Le bal commence et après quelques basses on se retourne pour voir si l’ingé son avait révisé ses Survival Tactics parce que si le mec entend ça backstage, il en aura grandement besoin. Il arrive sur scène et ce qu’on craignait arriva : le grésillement de la voix nous perce les tympans. Quelques minutes après, un camion de pompiers passe derrière la scène, l’ingé son était dedans et le stagiaire n’a pas su quoi faire. Dommage, mais bon, pour le temps qu’il est resté sur scène certains n’auront même pas vu la différence.
Les fans de Jamie-racaille (Jamiroquai pour ceux qui n’auraient pas d’humour) existent encore et même si le chapelier roulait en Lamborghini dans les années bissextiles on trace voir Major Lazer : « mais si, vient c’est les gars qui font poni-floor, pouloupoupoupou et les remix là ». Entre nous, ce concert c’était vraiment un mystère, une succession d’antagonismes, une incohésion fluide, un vieux pointu qui fini en pleine lucarne, une roue crevée qui se regonfle toute seule. On comprend pas, des fois a eu l’impression de se retrouver à une soirée Tekno Makina vol. 13, des fois dans une soirée électronique berlinoise, des fois c’était de la daube en sauce, des fois c’était bien. Alors dans le doute on a tout donné. Bon, on fini quand même l’apéro sur du propre. Un mec qui est fait aussi bien pour de l’indoor que de l’outdoor, un Boys Noize en règle.
Chapitre 2 : l’entrée
Après quelques coups de pédale, on arrive sur zone bière fraiche à la main. Un petit air de dimanche plane dans l’air car on est pas habitué à taper les Eurocks sur la longueur. On attaque dur avec le gosse du pays, le garçon qui venait vendre du shit ici quand il était minot : Pih Poh. On est content d’être là pour lui et pas seulement parce qu’il est allé posé du son en Irak. La sauce salade a du mal à arriver, et on attend avec impatience quand ça enverra du steak. La soirée à du mal à commencer et on Skip The Use pour laisser le Club des Justiciers Milliardaires d’Abidjan nous réchauffer. Du son digne de la Côte d’Ivoire avec un montage kitschissime à nous donner envie
de faire un Vitry-Abidjan en charter gratuit. Avouez qu’un Premier Gaou, aaaaahningalaouin, n’est pas la meilleur des préchauffe pour Woodkid. Malgré cela, on les quitte le cœur serré pour une ambiance celtique et romaine à la fois, une expérience visuelle et musicale qui nous plait. On laisse les anciens aller se péter la citrouille devant The Smashing Pumpkins pour continuer dans l’élan de l’apéro avec le hip hop de Danny Brown et Action Bronson. C’est typiquement le groove qui donne envie de cruiser en R18 décapotée. On reste dans notre caisse pour l’ouverture Atmosphere de Gesaffelstein « nom-valise formé à partir de Gesamtkunstwerk (album de Dopplereffekt, allemand pour « œuvre d’art totale ») et Albert Einstein ». Ce sera pour nous l’événement de la soirée, il a trouvé sa scène et son ambiance comme un melon aurait trouvé son jambon de Parme. On trace vers Archive qu’on trouve vraiment très bon mais par peur de bad-triper on re-trace vers The Bloody Beetroots. On a bad-tripé.Chapitre 3 : Le plat
Aujourd’hui, on met vraiment les pieds dedans. Un peu moins frais que la veille, c’est maintenant qu’il faut envoyer du steak et vous nous mettrez un peu de purée avec. C’est à coups de Gitanes et 8.6 Original qu’on attaque l’aprèm par 32°C /+5°C dans le slip de la veille. Black Rebel Motorcycle Club nous sèche sur place et le son est trop fort.Puisque Noël n’a pas eu lieu l’année dernière, La Plage à Pedro (d’ailleurs, nous aurions personnellement dit la plage DE Pédro car on dit fils DE pute et pas fils À pute) a le droit à une deuxième chance. Ce sera le fil rouge de la soirée. On arrive ensuite dans la place, carré à droite devant Kerry James, l’hardcore mélancolique, crevé de se faire défoncer, par des condés complètement bourrés à la fin de chaque soirée (phrase à lire en mode slam s’il vous plaît). Encore un antagonisme ici, mais rien de musical. La foule, la main en l’air se secoue à l’appel de Kerry James : Constat Amer. Nous ne sommes pas convaincus que tout le monde entende la même chose. Il n’y aura qu’à demander à la gamine, posée avec son short en jean, Ray-Ban vissée sur le nez, basanée comme une mayonnaise périmée.
On reste dans les parages pour écouter les tubes de Two Doors Cinéma Club et on tremble de joie à l’idée de voir
le seul et unique concert de reggae de ce festival. On visionne vite fait Rasta Rocket pour se mettre dans le bain et balance man, cadence man, trace la poussière c’est les Eurocks man. On descend comme des balles avant de se vautrer devant un mec que Sizzla aurait certainement brûlé sur place. C’est pas du roots et on a peut-être manqué d’intransigeance. Mais quand même, c’est un mélange de Hanson (MMMBop pour ceux qui n’ont aucunes références décentes) et Gentleman qu’on ne présente pas. On tape un bon tiers du concert avant d’entamer notre ascension vers le Mont Phoenix. Leur concert qu’on sert à toutes les sauces nous rappelel de jolies épopées adulescentes et if I ever feel better nos premiers poils de teub. Une impression de déjà vu extrême nous traverse la cervelle quand Thomas Mars entame un refrain : on a l’impression de l’avoir déjà entendu au début mais non, c’est un autre ! On ferme néanmoins les yeux et nous nous repassons les images de Somewhere ou The Bling Ring de Sofia Coppola. On apprécie et savoure l’éjaculation de confettis aux ¾ du live.
On décide de se resservir une deuxième assiette de hip-hop avec A$AP Rocky. On comprend vite son sobriquet quand on souhaite fortement qu’il arrive sur scène as soon as possible. Le DJ commence et c’est comme si le gangsta avait oublié d’arriver. Ne pas passer beaucoup de temps sur scène doit être un truc cain-ri qu’on ne comprend pas par ici (comme beaucoup d’autres trucs cain-ri sans faire de mauvais esprit). Il arrive, tape deux trois checks, et prend le rôle du side man laissant la bande son faire le show. Il n’est pas trop tard pour finir le mélange devant I Love You So de Cassius « il le passe toujours à la fin de toutes façons ».
Chapitre 4 : le dessert
Le dessert est quand même une invention fantastique. Après un apéro chargé, une entrée délicieuse et un plat costaud, on n’a plus vraiment faim, mais on a toujours une petite place pour une douceur. C’est la cerise sur le gâteau avec de la crème, la crémière trempée dans le beurre qu’on a roulé dans de la thune. C’est que du bonus avec Kenny Arkana qui nous touche avec Les Gens Pressés. Cette chanson là, elle est dédicacée à tous les immigrés avec la raie sur le côté. On a tout imaginé : niquer ta mère sur la canebière, un tagine made in Argentine, une baston avec la meuf dans notre équipe. Le son est agréable et les rythmiques à la gratte sèche agrémentent les lyrics de Keny qui dénoncent avec à peine un peu plus de panache de Kery. Moment de flottement à l’Esplanade car The Vaccines commencent avec une heure de retard. « Ils ont d’la chatte qu’on les attendent parc’que y’a rien d’autre les bâtards ». C’est à ce moment là qu’on réalise avec un peu de déception que La Loggia est la scène fantôme du festival. On y avait retrouvé à l’époque DJ Mehdi ou encore Reggie Watts et cette année rien – ou pas encore – on n’y a pas mis les pieds. On enchaine une escapade en solitaire mais seraine devant Tame Impala. Ici on a envie de courir nu, les balls à l’air, sur la plage, un buvard sous notre bandana posé sur le front en train de tourner en rond les bras écartés. On déglingue une assiette de riz en scred devant Skunk Anansie pour les hits et on prend des forces pour la dernière ligne droite de deux heures et quarante cinq minutes avant le café /digespliff. Nous glissons une oreille à La Loggia pour Disclosure – enfin !. Les frères pétards Guy et Howard from the UK nous filent la chaire d’ampoule avec leurs jeux de lumières. Coincée au milieu de la foule, c’est un son vraiment plus atmosphérique que Gesaffelstein pour la peine. C’est tout ce qu’on aime et on se trémousse langoureusement sur des rythmiques chaude et rondes. « May you be in heaven a full half-hour before the devil knows you’re dead » et c’est Blur du final qui sonne à 23/30. On est heureux de voir la face de Damon Albarn qui fait du lourd depuis 30 piges avec Gorillaz et The Good The Bad And The Queen. Il a toujours la même tronche de sale gosse et le Best Of entier y passe. Qu’il soit le nouveau David Bowie ou l’ennemi juré de Noël Gallagher rien à foutre, il nous plait. Ça reste simple, relativement épuré, néanmoins efficace.
Nous concluons donc par un feu d’artifesse qui, au risque de paraître éternels insatisfaits, a pris un peu la flotte mais reste joli. Le spectacle de clôture nous emporte dans une cohue générale et des abeilles mécaniques nous projettent des rubans en papier interminables, englobant toute la foule dans un seul et même essaim en nous ramenant vers le milieu de la presque île. Comme si après avoir partagé quatre jours explosifs, les 127 000 festivaliers resteraient tous ensemble, attachés jusqu’à la prochaine session. De notre côté, tous nos soldats ont tenu le choc et accrochez-vous car pour nous ce sera la dixième.