Heureusement que nous avons le rire ! Pourquoi faudrait-il en avoir peur, ou honte ? Le rire est-il superficiel, inutile, forcément idiot ? Le rire ne sert-il qu’à se détendre, oublier et se divertir ? Le rire est-il vide ?
Ce qu’on n’aime pas dans le rire, c’est qu’il semble gratuit, méchant et stupide. Rire ne sert à rien, rire est improductif et sans suite. Il a bien quelque chose de communicatif, qui cherche à se prolonger et à se propager. Mais au fond, sans être isolé, il reste limité. Comme un son, dont l’écho prolongé brusquement se tairait. Le rire unit, mais d’une union éphémère.
Il est méchant, parce qu’il porte sur l’humain. Le rire se moque de l’homme. C’est de lui qu’on rit, jamais d’un objet, d’un paysage, rarement de l’animal. L’homme est la victime de choix de la raillerie, sa cible amère, son plaisir cruel. Et pourtant, il n’est pas bête.
Car le rire n’est pas provoqué par un affect, mais par son contraire. On rit quand on est disponible, désengagé, indifférent. Il faut être libre pour rire, léger, sans émotion ni investissement. Il naît donc non de ce que l’on ressent, mais de quelque chose que l’on comprend – d’où son intelligence.
Intelligence du rire qui perçoit ce qu’il y a d’inadapté et de décalé dans une situation. Est drôle ce qui ne correspond pas à l’attendu, ce qui heurte les conventions, rate la norme, agit à contresens. Le rire est intelligent parce qu’il se moque de ce qui est bête, de ce qui est inconvenant et raide.
D’où la fonction sociale du rire ! Car la société exige que nous nous dominions et gommions nos excentricités, que nous soyons à ce que l’on fait. Non pas mécaniques et raides, mais souples et vifs, adaptatifs et élastiques. Et comme le rire inspire la crainte, c’est lui qui nous socialise et nous corrige.
Le rire, disait Bergson châtie les mœurs.