Ollivier Pourriol enseigne la philosophie. Il fait des conférences. Il écrit des livres.
Un jour il est invité au Grand Journal de Canal+ pour "la promo d'un bouquin". Il se fait remarquer. C'est pourquoi, par la suite, on lui propose d'y jouer le rôle de "l'intello de service".
Il accepte. L'appât du gain n'y est pas étranger. Il est difficile de refuser un salaire mensuel de dix à quinze mille euros
brut (500 euros brut par jour). Son silence télévisé - la parole va lui être de moins en moins donnée - vaudra plus que tous les mots qu'il aura dits ou écrits précédemment.
Mais Ollivier Pourriol ne comprend pas les règles d'un jeu qu'on ne lui explique d'ailleurs pas.
Pendant le temps d'une saison - 2011/2012 -, il va cependant participer, puis surtout assister muet à cette émission, qui est diffusée en clair, la première partie en direct de 19 heures à 20 heures et la deuxième partie en différé de 20 heures 30 à 21 heures.
Alors qu'il est censé parler de livres, il a la naïveté de vouloir les lire. Ce n'est pas ce qu'on lui demande. Son rédacteur en chef, qui lui dira un jour qu'"on ne parle pas de poètes morts" [sic], lit toujours les livres de cette manière:
"La première page, la dernière page et la page 100."
Pourquoi ces seules pages?
"Comme ça, je connais le début, la fin, et si on parle du livre, je parle de la page 100. Quelqu'un qui arrive à la page 100, c'est qu'il a lu le livre."
Ollivier Pourriol demande plus tard à un adjoint du même rédacteur en chef:
"Comment tu veux que je conseille un livre que je n'ai pas lu?"
Il s'entend répondre, sans rire:
"Tu peux le respirer, le livre."
Ollivier Pourriol est une erreur de distribution. Il n'arrive pas à admettre qu'il ne faut pas se poser de questions, mais en
poser aux invités et surtout finir l'échange avec eux par une dernière question, et qu'il ne faut surtout pas qu'il dise ce qu'il pense s'il veut rester...
Comme il intervient finalement en deuxième partie, ses propos sont souvent coupés au montage...
En réalité, comme le lui dit son ami André, l'équipe de l'émission, Michel Denisot en tête, n'a qu'un objectif:
"Ils veulent déconner avec les invités, pas penser avec eux."
En définitive il va tenir un an, en intervenant de moins en moins, tout en étant payé. Ce qui lui fera dire à un moment qu'il aura occupé "l'emploi fictif le mieux payé de France", à un autre qu'il aura été "pendant un an le téléspectateur le mieux payé de France".
Pour se donner bonne conscience il considérera son "salaire excessif" comme un pretium doloris.
Ollivier Pourriol avait appris son recrutement en lisant Libé. Il apprendra qu'il est viré "en le lisant sur Internet": ça, c'est de la communication! Il est viré non pas parce qu'il a été mauvais, mais parce qu'il ne correspondait pas au format, parce qu'on n'avait que faire de son intelligence.
Le titre s'explique ainsi:
"On, tu existes. Off, tu n'existes pas."
Il n'existe plus.
A lire les scripts des émissions reproduits dans le livre, cela ne vole pas haut, c'est superficiel, ce n'est même pas drôle, ou
rarement. Sans doute parce que c'est trop facile - il n'y a que la contraction du temps qui est difficile -, parce que c'est factice, clinquant, sans profondeur, dérisoire. De quoi amuser les
bobos et ceux qui veulent leur ressembler.
A contrario les dialogues que l'auteur a avec le rédacteur en chef, ou un de ses adjoints, avec le directeur des programmes, avec son producteur ou encore avec ses amis, tels que Jérémie ou André, sont souvent désopilants.
Il faut lire ce livre plaisant, et non complaisant, de la première à la dernière page, n'en déplaise à d'aucuns. Car il dévoile - ce qui était nécessaire - les coulisses de Canal+ et confirme, de l'intérieur, que ce média est parmi les plus affligeants qui soient...
Francis Richard
On/Off, Ollivier Pourriol, 360 pages, NiL