[11/07/2013]
Les récentes déclarations de Jean-Marie et Marine Le Pen sur les Roms et celles de Christian Estrosi sur ceux qu'il appelle "les gens du voyages" contrastent alors que Jean-Marc Ayrault s'apprête à se rendre à Bucarest. Pour Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty France, il est temps de prendre des décisions fortes pour faire cesser le racisme et les discriminations que subissent ces populations.
Monsieur le Premier ministre,
Dans quelques jours vous vous rendrez à Bucarest où, probablement vous ne manquerez pas de vous entretenir avec le gouvernement roumain sur la mise en place d’un partenariat étroit visant à l’amélioration des conditions de vie et de retour des Roms dans leur pays d’origine.
Certes les pressions sont fortes aujourd’hui en France pour accélérer le retour des Roms vers la Roumanie mais nous souhaitons ici vous rappeler nos préoccupations quant à leur situation dans ce pays.
Chez eux nulle part
Malgré les discours et les plans d’intégration, les Roms continuent d’être la cible de discriminations et d’expulsions forcées comme en témoigne le dernier rapport d’Amnesty International intitulé "Une marginalisation forcée : cinq cas d’expulsions forcées de Roms en Roumanie" basé sur des témoignages de personnes expulsées de force ou sur le point de l’être dans les villes de Baia Mare, Cluj Napoca et Piatra Neamt.
Relogées dans des bâtiments insalubres, entassées dans des pièces uniques, leur situation est aggravée par le fait qu’elles sont installées en périphérie, isolées des autres habitants comme dans des ghettos. Les répercussions de cette profonde marginalisation sur leur état de santé et sur leurs conditions de vie sont particulièrement graves.
L’amélioration des conditions de vie et le respect des droits des Roms doit être une priorité absolue quelque soit leur pays d’origine ou le pays dans lequel ils résident.
Stop à la stigmatisation et au racisme
Cette visite intervient alors que les déclarations stigmatisantes à l’encontre des Roms se multiplient en France, je vous renouvelle notre demande d’une déclaration forte réaffirmant votre engagement pour le respect des droits humains de toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, résidant sur le sol français.
Le 14 mai dernier, lors de la rencontre avec plusieurs associations consacrée pour partie à la question des bidonvilles en France, Amnesty International France vous a demandé de vous engager et c’est avec satisfaction que nous avons pris connaissance de votre communiqué qui évoquait "une volonté de mener une véritable politique d’intégration pour les familles qui ont vocation à rester en France".
Cette intégration ne pourra se faire sans la volonté politique ferme de lutter contre les discours racistes ou stigmatisants qui contribuent à faire des Roms des citoyens de seconde zone, à l’instar de ceux particulièrement choquants tenus ces derniers jours par Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et Christian Estrosi.
Nous n’avons d’ailleurs pas manqué de nous adresser par écrit au ministre de l’Intérieur, Monsieur Manuel Valls, pour déplorer les propos qu’il a tenus au journal "Le Parisien", le 14 mars de cette année, selon lesquels "les occupants des campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés à la mendicité ou la prostitution ». Il précisait également que « Les Roms ont vocation à rester en Roumanie, ou à y retourner". Je lui avais fait remarquer qu’avant d’être Roms, ces personnes sont des citoyens européens et leur projet migratoire, partagé par une grande majorité de migrants, est celui d’une insertion possible.
Les Roms ont besoin de décisions fortes
Condamner ces discours publiquement serait le signal d’un refus absolu de l’incitation à l’intolérance et à la haine de l’autre et, comme nous le demandons dans notre rapport de novembre 2012 "Chassés de toutes parts", nous vous exhortons à veiller à ce que les responsables politiques s’abstiennent de tenir des propos qui associent les Roms à la criminalité ou à d’autres stéréotypes négatifs et à faire en sorte que les allégations de racisme à l’égard de cette population fassent l’objet d’investigations impartiales et efficaces.
De même que nous vous demandons, à l’instar des autres pays de l’Union européenne, de communiquer et de mettre en place rapidement la stratégie d’inclusion des Roms qui doit mobiliser les moyens nécessaires pour garantir leur droit à un logement décent et lutter contre l’exclusion sociale dont ils sont victimes.
Le sort des Roms ne doit pas être réglé aux regards des déclarations stigmatisantes et des vagues d’expulsions vers le pays d’origine. Il ne le sera que par l’affirmation d’une volonté politique à Paris comme à Bucarest d’accueillir partout en Europe des êtres humains qui n’aspirent qu’à une vie meilleure et à devenir des européens comme les autres.
C’est le message que nous espérons vous porterez à Bucarest et que vous ferez entendre sur la scène française.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération.
Lettre ouverte de Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France
adressée au Premier ministre monsieur Jean-Marc Ayrault,
parue sur Le PLUS NouvelObs du 09 juillet 2013.