Les salariés du privé ne se font plus aucune illusion. Il va falloir encore faire des efforts pour pouvoir faire valoir leurs droits à la retraite. Chez beaucoup, la résignation l'emporte. Selon le gouvernement, le COR et surtout la myriade « d'experts » de tous poils, il faut travailler plus longtemps pour pérenniser le système.
Si pour le gouvernement, il s'agit effectivement de maintenir la répartition, en ce qui concerne nos « experts », il faudrait faire preuve de naïveté pour ne pas avoir compris qu'ils ne sont que des faux nez de la bancassurance qui rêve de mettre en place le pactole de la capitalisation retraite.
Seulement, qui dit allongement de la durée de cotisation, dit maintien dans l'emploi ou embauche des plus de 55 ans. Or, entre les ruptures conventionnelles, outil préféré des patrons pour transférer les salariés âgés à l'UNEDIC, les a priori des employeurs qui les trouvent peu adaptables et ne veulent surtout pas entendre parler ou prendre en charge d'éventuelles pathologies dues aux nombreuses années passées au travail, comment envisager une seconde de demander aux salariés du privé de se maintenir dans l'emploi au delà de 62 ans ?
Ajoutons à cela que les organisations patronales refusent toute notion de quota, ou retour d'une contribution financière en cas de licenciement de salariés seniors, mais exigent que l'âge légal de départ à la retraite soit fixé à 65 ans. Impasse, vous avez dit impasse ?
Nous pensons qu'il aurait été judicieux de mettre les organisations patronales face à leurs contradictions et exiger de réelles contre parties d'emploi pour les salariés les plus âgés et ceux qui le seront un jour. Ce n'est semble t-il pas le choix fait par la CFDT qui a l'oreille du gouvernement, et ressort la pénibilité au travail qui permettrait selon elle de rendre acceptable l'allongement de la durée de cotisation.
En effet, nous dit l'AFP : « (...) La CFDT en fait une priorité, faisant valoir qu'un ouvrier a une espérance de vie en moyenne inférieure de six ans et quatre mois à celle d'un cadre. Il est juste, dans un système de retraite, de tenir compte à la fois des carrières et des nuisances que l'on subit (...) » Arguments repris par François Hollande qui : « (...) a précisé lors de la conférence sociale qu'il faudrait aussi tenir compte de la pénibilité des tâches (...) »
Mais, au fait, c'est quoi la notion de pénibilité au travail ?
La loi est un peu moins restrictive que les critères évoqués par la CFDT. Elle définit la pénibilité au travail selon les termes suivants : « (...) le fait d’être ou d’avoir été exposé au cours de son parcours professionnel à des risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé du travailleur (...) »
S'il est incontestable que les ouvriers sont les plus exposés, il serait particulièrement injuste et réducteur de considérer qu'ils représentent la seule population soumise à la notion de pénibilité au travail. Car, ne l'oublions pas, la pénibilité n'est pas uniquement liée à un métier particulier mais surtout à des conditions de travail. Quid des employés des grandes surfaces, des commerces, des services qui, s'ils ne sont pas soumis à des substances toxiques sont dans bien des cas soumis à des rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables !
Quant aux cadres, il serait temps que la CFDT arrête ses clichés. Tous les cadres ne sont pas des cadres dirigeants ou supérieurs partant se ressourcer tous les ans en thalassothérapie.
Sait-on seulement à la CFDT que le « forfait jours » appliqué à quasiment tous les cadres : « (...) permet de calculer la durée du travail d’un cadre, non pas sur la base d’un nombre d’heures quotidiennes, ou hebdomadaires, mais sur la base d’un nombre de jours sur l’année (...) » d'où des salaires qui rapportés au taux horaire dépassent à peine le SMIC ? On ne saurait trop leur conseiller la visite du site Cadres et forfait jour édité par l' UGICT-CGT qui donne une autre vision des conditions de travail des cadres.
Pour avoir exercé une grande partie de sa carrière sous statut cadre, votre serviteur a connu nombre d'entreprises où la montre ne sert qu'à indiquer l'heure d'arrivée, où les réunions sont systématiquement programmées à partir de 18H30 ou 19H00 (parce que c'est l'heure où les clients ne nous dérangeront pas ) où on emporte du boulot pendant le week-end parce que le patron a demandé vendredi dans l'après-midi un rapport pour ... le lundi matin, où on ne prend jamais ses RTT parce que justement ça tombe mal et où on se tient à la disposition de la direction pendant les congés d'été (merci le portable et le net) car, c'est bien connu : Le patron ne prend jamais de vacances LUI !
L'auteur de ces lignes a en mémoire un DRH de la grande distribution lui expliquant que le travail d'un chef de rayon doit pouvoir être effectué en 35H00 mais que s'il a besoin de 60 heures ou plus, c'est son problème ... pour le même tarif.
Basiquement, on pourrait dire que le statut cadre n'impose pas de manutention de charges ou de postures pénibles (parlez-en à des chefs de rayon de la grande distribution), n'impose pas de travail de nuit (parlez-en à ceux qui ont régulièrement un rapport absolument urgent ...) et n'impose pas la manipulation d'agents chimiques ou agressifs, ce qui les mettrait à l'abri de toute notion de pénibilité. Personnellement nous en doutons !
Mais, l'objet de ce billet n'est pas de faire un concours des pires conditions de travail devant donner lieu pour certains à un départ anticipé quand d'autres pourraient « tenir » jusqu'à 67 ans. Il est seulement de signaler que sur les retraites, la CFDT a d'ores et déja fait ses arbitrages : Pour qu'un petit nombre de salariés, exposé aux pires conditions puisse partir plus tôt à la retraite, il faudra que tous les autres acceptent de prolonger de plusieurs années leur hypothétique vie professionnelle.
En clair certains auront la chance, si l'on peut dire, que leur profession soit inscrite sur la liste officielle donnant droit au nom de la pénibilité de partir plus tôt, les autres moins chanceux attendront.
A notre sens c'est avoir baissé les bras avant de se battre. Mais, la CFDT avait t-elle envie de se battre pour que l'injustice qui frappe les ouvriers ne soit pas uniquement corrigée par une pénalisation de tous les autres salariés ?
Néanmoins, ce raisonnement pourrait être entravé par les organisations patronales qui vont continuer à s'appuyer sur l'accord de prévention de la pénibilité au travail contenu dans la loi du 9 novembre 2010.
Le Medef n'en n'a d'ailleurs pas fait mystère puisque, écrivait Le Point : « (...) Dernier point de désaccord, sur la pénibilité cette fois. Pour le Medef, le problème a été réglé par la réforme de 2010 (...) La santé au travail et la gestion des carrières pénibles doivent être totalement dissociées du dossier retraite (...) »
A rapprocher d'une déclaration de Laurence Parisot que Pierre Gattaz fera certainement sienne : « (...) Laurence Parisot refuse une approche sur la pénibilité qui "équivaudrait à des pré-retraites spécifiques par catégories, par métiers ou par types d'activité". Elle prône une "démarche de prévention et d'amélioration constante des conditions de travail »
Par contre, il ne fait nul doute que les organisations patronales à défaut d'obtenir le report de l'âge légal à 65 ans accepteront l'augmentation du nombre d'annuité que la CFDT semble avoir déjà acté. Et ça, compte tenu de l'état actuel et à venir du marché du travail, c'est déjà une forme de pénibilité à laquelle l'ensemble des salariés aurait aimé échapper !
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