Assistance au suicide sans certitude diagnostique

Publié le 11 juillet 2013 par Samiahurst @samiahurst
Un cas intéressant, l'histoire du médecin généraliste neuchâtelois condamné cette semaine. Les journaux ont parlé d'euthanasie, mais sur la base des descriptions, c'est clairement d'assistance au suicide qu'il s'agit. L'histoire?
"Le médecin était au chevet d’un homme de 89 ans qui avait tenté de se suicider, ne supportant plus sa maladie. Il a fait état du «vraisemblable développement d’une maladie tumorale anorectale» en se basant uniquement sur une anamnèse - symptômes et antécédents du patient - car celui-ci refusait tout examen. Le médecin a parlé d’Exit à cet homme qui comptait tenter à nouveau de se suicider. Ce dernier a signé le 4 février 2011 une déclaration demandant l’assistance de cette association pour mettre fin à ses jours. Le 11 février, le médecin a prescrit 15 grammes de substance létale au patient, qui l’a avalée le lendemain et est décédé. Le praticien a procédé ainsi «afin qu’il puisse mourir dignement». Il estimait qu’il n’aurait pas été très courageux d’éviter de prescrire lui-même le produit afin de s’éviter des ennuis."
La suite: il a donc été condamné, à une peine symbolique puisqu'il s'agit de 500.- d'amende
Un cas d'assistance au suicide condamné par la justice, donc. Et pour quel motif? Ce qui est reproché au médecin n'est pas d'avoir assisté un suicide, car cet acte est légal en Suisse à trois conditions:

1) Il doit bien s'agir d'un suicide, donc la personne qui décède doit accomplir elle-même le geste létal: ce fut bien le cas ici et d'ailleurs c'est pour cela qu'il ne s'agit pas d'un cas d'euthanasie.
2) Il faut que la personne qui décède ainsi soit capable de discernement: ce point n'est pas non plus remis en cause ici.
3) La personne qui l'aide doit agir pour des raisons altruistes, ne pas avoir de mobiles égoïstes. Encore une fois ce critère semble rempli ici, le tribunal ayant même souligné que la peine était amoindrie car le mobile du médecin était jugé honorable.
Les trois critères étaient donc rempli.
Pourquoi, donc, le médecin a-t-il quand même été condamné? C'est là que ça devient intéressant. En fait, il n'aurait pas du tout été condamné pour avoir pratiqué une assistance au suicide, du moins pas directement. Non, il aurait été condamné pour avoir enfreint la loi qui régit la prescription médicale. Celle-ci précise en effet que "Un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu." (LPTh Art. 26al.). Or, ici, le patient refusait les examens qui auraient permis d'établir le diagnostic avec certitude, et le médecin a donc procédé à la prescription sans avoir cette certitude. D'où la condamnation.
Le jugement ira sans doute en appel, et il est donc probable que nous en reparlions. Mais il y a déjà trois aspects plutôt intéressants.
Le premier est la tendance à vouloir encadrer plus strictement l'assistance au suicide sans pour autant accepter de clarifier les règles qui s'y appliquent directement. C'est politiquement compréhensible, reste à savoir si cela rendra la situation plus claire.
Le deuxième, c'est que ce jugement (en tout cas en apparence) ne fait en fait absolument rien pour aider à définir la nature de la maladie qui pourrait justifier une assistance au suicide. A l'heure où la Suisse vient d'être épinglée pour le manque de clarté des conditions qui rendent l'assistance au suicide admissible, c'est regrettable. Ici, la question ne semble pas avoir été si la maladie était terminale, ou 'seulement' incurable, ou grave d'une autre manière. Non, la question semble avoir été d'abords si le médecin avait établi avec certitude l'état du malade, quel qu'il soit.
Ce qui nous mène au troisième point: voilà un jugement qui semble poser un seuil de certitude, ou du moins de confiance, dans une évaluation diagnostique. Il semble faire cela pour l'assistance au suicide, mais pas seulement. Classique, me direz-vous peut-être. Après tout, il est tout à fait exact qu'une prescription doit être fondée et que la loi le prévoit ainsi à juste titre. Mais comme souvent le diable est dans les détails. Est-ce ici la qualité de l'anamnèse qui est remise en question, ou bien la justice établit-elle ainsi qu'un diagnostic fondé sur le récit du patient sera par essence insuffisant? Le seuil de certitude peut-il être différent dans le cas d'une assistance au suicide que dans d'autres cas, et si oui comment empêcher qu'il ne s'accroisse au point de rendre toute assistance au suicide impossible? C'est peut-être ce que craignent les associations d'aide au suicide ici, même si cette issue n'est évidemment pas du tout certaine. Et que faire lorsque le patient refuse un examen, comme c'était le cas ici? Peut-on alors dire qu'il doit choisir entre le droit de refuser un examen, et le droit d'obtenir une prescription? Vraiment? Et cela s'appliquerait-il uniquement aux cas d'assistance au suicide ou aussi à d'autres cas (lesquels) de prescription médicale?
Un cas passionnant, qui méritait bien d'être un peu décortiqué et dont il faudra suivre les épisodes suivants.