Incohérence du système carcéral
Quand la Justice nous demande de mentir
Suite à une condamnation à vie pour meurtre, deux détenus (appelons-les Pierre et Paul) qui croyaient dur comme fer en la justice sont tombés des nues lorsqu’ils ont entendu le verdict de culpabilité à leur endroit.
Jean-Pierre Bellemare, prison de Cowansville. Dossiers Prison
Profil du prisonnier
Ainsi, elle arrive à déterminer un profil individuel. Avec les problématiques identifiées, elle trace un plan de redressement: quels programmes, suivi psychologique ou étude devront être complétés avant qu’il puisse accéder à une forme ou une autre de libération.
Mais avant tout ça, tous les condamnés sans exception doivent reconnaître inconditionnellement leur culpabilité pour toutes les accusations auxquelles ils furent condamnés autrement, ils auront de l’embrouille au menu pendant un sacré bout de temps.
Lorsque vous avez compris le principe et accepté de vous conformer aux règles, vous pourrez alors purger votre peine sans être brimé. Les détenus sont périodiquement rencontrés et peuvent demander une amélioration de leur condition de détention s’ils ont respecté les objectifs attribués. Les détenus qui trempent dans une magouille subissent un prolongement de leur durée d’emprisonnement. C’est le principal moyen utilisé pour contrôler et contraindre la population carcérale à suivre les règles.
Honnête en prison ou menteur en liberté?
Dans les deux cas dont il est question, le seul reproche que nous puissions faire à Pierre ou Paul est, pour l’un, une honnêteté irréprochable (ce qui n’est pas vraiment une qualité en prison) et pour le second, la conception artisanale de repas longuement cuisiné avec un minimum de moyens à sa disposition. Ce qui dénote une débrouillardise hors du commun. Il n’y a absolument rien de reprochable chez ces deux individus ultra-conformistes qui pourrait justifier un traitement aussi différent des autres.J’ai vu des motards féroces, des pimps (proxénètes) violents et des trafiquants, loin d’être revenu sur la bonne voix, qui pourtant furent condamnés après eux et libérés avant eux, alors qu’ils représentaient de véritables menaces pour la sécurité publique.
Pour éclaircir le mystère, j’ai fait plus ample connaissance avec ces messieurs. Ils possédaient sûrement une explication, une raison qui aurait expliqué le pourquoi d’un traitement aussi particulier à leur endroit.
Une fondation pour aider les prisonniers injustement condamnés
J’ai examiné l’historique de ces deux cas particuliers. Après avoir consulté une documentation officielle qui jouait en leur faveur, des soupçons commençaient à prendre forme. Ces deux quinquagénaires furent acceptés, après un examen approfondi de leur cas, par une fondation reconnue qui regroupe ceux qui furent injustement condamnés.
La fondation AIDWYC (Association in Defence of the Wrongly Convicted, Toronto; Association pour la défense des personnes injustement condamnées), créée en 1993, est un regroupement d’avocats et de bénévoles qui défendent des condamnés.
Avant d’être représenté par eux, il faut de sérieux éléments qui prouvent que des choses furent dissimulées, modifiées ou fabriquées avant ou durant le procès et qui auraient conduit à une condamnation injuste. Des condamnés, incapables de présenter une défense viable, car au-dessus de leurs moyens, font aussi partie de leur clientèle. Cette fondation cherche à réparer ces injustices en prenant la défense uniquement de cas où les condamnés ont des éléments de preuves vérifiables par un tribunal non arbitraire, le Comité de révision des condamnations criminelles (CRCC), avant de faire appel pour une révision judiciaire. Des cas très connus, médiatisés partout au Canada, ont prouvé le sérieux de cette association. Roméo Phillion (*) condamné en 1972 et acquitté 32 ans plus tard, Steven Truscott condamné en 1959 et acquitté en 2007, Robert Baltovick, James Driskell, Anthony Hanemaayer, etc.
Ces deux hommes ne boivent pas, ne fument pas, ne magouillent pas et ne se chamaillent jamais. La seule chose qui les distingue des autres condamnés, c’est qu’ils font appel à leur jugement. Voilà ce qui pourrait expliquer pourquoi ils sont traités aussi arbitrairement. Malgré des habitudes de vie dignes de moines, ils demeurent traités plus sévèrement que des multirécidivistes. Pourquoi des hommes aussi effacés, paisibles et conformistes doivent-ils subir une approche aussi punitive?
Reconnaître sa culpabilité
Rien n’a progressé dans leur cas. Leurs dossiers demeurent positionnés au même endroit après 14 ans de prison! Plusieurs détenus, avec des condamnations identiques mais ayant plaidé coupables, furent libérés ou coulent doucement leur peine dans des pénitenciers à sécurité moindre.
Les prisonniers doivent obligatoirement reconnaître leur culpabilité, sinon ils sont tablettés ou envoyés aux oubliettes. Un comportement positif et exemplaire n’y changera rien. Pas tout à fait équitable comme traitement, pour des hommes sans antécédent judiciaire!
L’explication habituellement avancée par les agents de libérations conditionnelles à ceux qui demandent des comptes est: «Une personne qui ne reconnaît pas sa culpabilité ne peut pas être réhabilitée!»
Les prisonniers qui font appel subissent une seconde injustice en n’ayant pas accès à un traitement équitable durant leur détention. Qu’est-ce qui pourrait bien inciter les fonctionnaires à agir aussi cavalièrement?
Faire appel au jugement
Dans les cas d’appel, il peut s’écouler des années, sinon des décennies, avant qu’une demande ne soit entendue par un tribunal. Est-ce une stratégie pour décourager les détenus de faire respecter leurs droits? Une menace à peine voilée? Allez en appel et vous vous morfondrez très longtemps en prison sans accès aux possibilités de libération ou d’allégement de peine qui s’offrent à ceux qui ont plaidé coupables sans faire appel. Plus que cela, ceux qui osent remettre en question la validité d’un jugement seront catalogués comme des récalcitrants, des contestataires.
Le gouvernement doit débourser de gros montants pour dédommager les victimes d’erreurs judiciaires. Il gagne à durcir le ton. Les délais aussi longs que coûteux pour obtenir une révision de condamnation en découragent plusieurs. Parlez-en à Claude Robinson dans l’affaire Cinar.
Au pénitencier, des innocents préfèrent plaider coupables pour sortir le plus rapidement possible. Et ce, en perdant tout recours possible en dédommagement. Le temps passé derrière les barreaux est beaucoup trop précieux pour être compensé par un montant quelconque ou de plates excuses. Il est irrécupérable.
Nous sommes impressionnés par des cas spectaculaires de prisonniers qui ont clamé leur innocence haut et fort durant des décennies, et ont fini par obtenir gain de cause devant les tribunaux. Cependant, ils ne sont pas représentatifs de la majorité qui, découragés, épuisés, écoeurés et désillusionnés préfèrent mentir sur leur culpabilité plutôt que d’attendre indéfiniment que l’appareil judiciaire leur donne raison.