Pour vous, jusque là, L’Alchimiste est un roman de Paulo Coelho. Maintenant il faudra aussi se dire que L’Alchimiste est un bon album de Dinos Punchlinovic. Révélation des Rap Contenders, le jeune rappeur de La Courneuve sort son premier disque. Un projet qui fait honneur au roman. En effet, les références ne manquent pas, à commencer par la chanson éponyme L’Alchimiste. Pas de refrain et une mélodie douce pour une sorte d’hommage à ses parents qui n’aiment pas l’idée que leur fils soit rappeur : « j’sais que vous m’aimerez toujours de toute façon, même si vous avez un peu de mal à accepter cette passion ». Un thème qui revient tout au long de l’album, comme si Dinos voulait se dédouaner, s’excuser de sa profession comme dans Agga « maman comprend pas à quel point j’kiffe le rap, elle peut pas s’imaginer qu’son fils vive de ça » et dans Un trop « Dîtes à ma mère j’veux être artiste j’ai pas le courage de lui dire ».
Pour revenir aux relations entre le roman et l’album, on peut aussi évoquer le titre Urim et Thummim, un interlude sans paroles au nom de pierres sacrées présentes dans l’oeuvre de Paulo Coelho.
En parlant de références en tout genre, dire que Dinos Punchlinovic est un expert en la matière n’est pas exagéré. De tout le rap game, il est le seul à autant mélanger des allusions autant diversifiées qu’inattendues. Des références de son âge bien sûr qui parlent à tous les jeunes d’aujourd’hui. Au programme : Dragon-Ball Z, dessins animés, foot et séries télévisées. Ainsi, dans ses morceaux on retrouve des punchlines du genre « Saint Seyia, Dragon Ball, j’suis à propos d’ça », « Sangoten rentre en moi quand j’écris mes lines, face à moi Victor Hugo serait misérable » ( A propos d’ça). Décidément le seul artiste à oser comparer Dragon Ball et Victor Hugo dans la même rime. Sinon, on trouve aussi « Check le Genki Dama si t’attaques ma clique », « J’passe mes soirées devant Ma Famille d’abord et j’m'endors au moment de Loupalinda » (A propos d’ça), « Hhh j’bastonne, hhh j’frappe j’cogne, hhh j’rappe comme Steevie dans Malcolm », « j’ai le bras droit plus gros que le bras gauche, c’est à cause de Lisa Ann » (une actrice porno ndlr) (Buzz l’éclair au chocolat), « moi j’suis coincé dans mon monde comme Allan Parish » (Post-Scriptum).
Pour ce qui est du foot, on notera l’une des meilleures punchlines de l’album que l’on trouve dans Namaste « j’suis comme le pied de Taye Taiwo, j’ai connu trop de mauvaises passes ». On retrouve bien ici le véritable supporter du PSG.
Un supporter du PSG qui manie l’humour et les jeux de mots à la perfection. Dinos en fait même sa spécialité. Dans ce domaine aussi, on peut dire qu’il est le tout meilleur du rap game. Tout cela provient évidemment de ses battles aux Rap Contenders qui l’influencent largement. Rien que dans les titres de ses chansons, les calembours sont légions : Un trop (pour Intro), Agga la croisière ça m’use, Quadneuf, Buzz l’éclair au Chocolat. Dans les paroles, c’est encore pire. Une avalanche de punchlines drôles et bien senties. Une avalanche pour certains mais une overdose pour d’autres. Chacun se fera son avis avec ce petit florilège : « le soleil ne brille pas c’est pour ça que je suis mal luné », « J’suis pas dans ce monde j’suis sur une autre galaxie, j’suis nonchalant, passif ouais un gars laxiste » (Un trop), « J’cherche le paradis, mais en attendant j’suis comme un maraîcher qui fait faillite : j’ai pas un radis » (Namaste).
Si les fans risquent une overdose de punchlines, Dinos risque lui une boulimie de kebabs. Du début à la fin de l’album, dans toutes ses chansons ou presque, Jules se réfère à ce qui semble être son met favori : « Schweppes Agrum’, Chicken jaune » (A propos d’ça), « J’ai dit ‘Lève ton grec en l’air’ ils ont cru que j’parlais d’Nikos Aliagas », « J’suis tous les jours au grec, à propos d’crever comme Big Pun », « D’la mort aux rats dans ton keu-gré, après ça on verra si tu peux t’lever » (Quadneuf), « J’suis tout l’temps en retard, à part si tu m’invites au grec » (Buzz l’éclair au chocolat).
Salade, tomate, oignon, l’album de Dinos Punchlinovic est garni comme un complet. Tellement qu’on oubliera sans doute des choses mais tant pis, continuons. Après avoir parlé des thèmes évoqués, revenons sur un autre aspect de L’Alchimiste : ses références non-cachées à d’autres artistes. Des rappeurs de la belle époque qui ont influencé Dinos et sur lesquels il a pris exemple. Comment fait-il ? En détournant les paroles, en les mettant à sa sauce. NTM, Booba, 113, La Fouine, Disiz, tous les plus grands y passent. Le premier à être parodié dans Un trop est La Fouine avec son célèbre gimmick qu’il partage avec son frère Canardo « Hamdoullah ça va ». Dinos le transforme ainsi en « Hamdou Jésus moi ça va ». Toujours dans la même chanson Jules Jomby déclare sa flamme à Disiz « J’veux faire un hit ou faire un feat avec Disiz la Peste ». Un artiste qu’il apprécie vraisemblablement beaucoup dans la mesure où il reprend carrément un couplet de Le bien c’est ma cible (tiré de l’album Jeu de Société de Disiz) dans Post-Scriptum, sans changer les paroles. Un bien bel hommage.
D’autres part, Dinos se permet de gentiment se moquer de Booba dans Bouchées Triples en changeant la phrase « Paraît que j’prends d’la cess, paraît qu’j'suis en prison, paraît qu’j'suis juif » prononcée par le Duc de Boulbi dans Gun in Hand, en « Paraît que j’prends d’la cess, paraît quj’suis en prison, paraît qu’j'suis bouddhiste » puis dans Quadneuf où on l’écoute dire « comme dirait l’autre : wallaye bilaye ne t’inquiètes pas », rendu célèbre dans AC Milan. Dans Bouchées Triples, Booba n’est pas le seul à être repris. En effet, le refrain est un clin d’oeil aux Princes de la Ville de 113. Le modèle « On est jeune et ambitieux, parfois vicieux, faut qu’tu t’dises que tu peux être le Prince de la ville» devient « On est jeune et ambitieux, super vicieux, quoiqu’il arrive on sera les Princes de la Rime vieux ». Pour finir, parlons du début d’Agga qui n’est librement inspiré de That’s my people de NTM. On vous laisse trouver les différences vous-mêmes entre la version de Dinos et celle de Kool Shen et Joey Starr : « J’t'explique, c’que j’kiffe, c’est d’gratter des lignes ; un sort pompé de rimes, faire des sons compétitifs ; Pouvoir faire de la musique en gardant mon éthique ; Voir les bras en l’air et les têtes qui bougent quand j’kick ouais ; C’est fou mais c’est comme ça, j’ai besoin d’ça, j’me nourris d’ça ; Mon équilibre dépend d’ça » contre « J’t'explique c’que j’kiffe ; C’est d’fumer des spliffs ; Et puis de construire des riffs qui soient compétitifs ; Pouvoir faire dde la musique tout en gardant mon éthique ; Faire du fric sans jamais tâcher l’image de ma clique ; C’est fou mais c’est comme ça, j’me nourris d’ça, j’ai besoin de ça, mon équilibre dépend d’ça. ».
Punchlinovic se nourrit de son passé mais il est résolument un rappeur qui vit avec son temps comme en témoignent ses rimes hashtags. Nouvelle mode du rap français et ultra utilisées dans les Raps Contenders, cette technique consiste à poser un mot en fin de rime pour contextualiser la phrase précédente. Comme sur Twitter quoi. S’il les utilisent à plusieurs reprises, Dinos n’est pas tombé dans le piège de la facilité et de l’omniprésence. Ainsi, ses rimes hashtags se font rares, percutantes et remarquables : « On est condamné à l’échec, #Kasparov » dans Bouchées Triples, « balle aux pieds j’fais le tour du monde. #Globe trotter » dans Quadneuf, « J’plie les vieux et j’coupe les jeunes #SahaFtourkoum » dans A propos d’ça. Voir Dinos faire des rimes hashtags n’est pas une surprise sachant que le rappeur lui-même se compare au réseau social dans Namasté « Mais en gros j’suis comme Twitter : j’ai 140 caractères ».
Vous l’aurez compris, l’intérieur est vaste et réussi mais pour que le succès soit complet, il fallait que l’enrobage soit tout aussi bon. C’est chose faite grâce au combo voix mélodieuse du MC et instrus douce, lancinante et même mystique pour certaines. Chilea’s et Houss Wayss ont fait du bon boulot même si la prod’ de Bouchées Triples se situe un peu en dessous des autres. La cause ? Trop confuse, trop « touffue ». Sinon, ces instrus plutôt calmes se marient à merveille avec les sujets chantés par Dinos : son parcours, sa vie d’artiste dans Un trop, ou alors une sorte d’hommage à ses parents dans L’Alchimiste. Et quand Jules augmente le rythme pour des titres plus égotrip comme Quadneuf, l’instru suit.
Autre particularité de l’album, un tiers des chansons n’ont pas de refrains. Assez rare dans le rap français pour être souligné et une figure de style qui augmente le temps de parole de Dinos car il faut bien avouer qu’il a des choses à dire. L’absence de refrain joue aussi sur la portée dramaturgique des titres. Un trop, L’alchimiste et Post-Scriptum sont en effet les chansons les plus « tristes » de l’album.
Pour finir, parlons rapidement des featurings. On a vu plus haut que Bouchées triples ne brillait pas par son instru mais force est de constater que la collaboration avec Nekfeu est réussie. Même si le MC de 1995 ou du S-Crew n’est pas le chouchou de la rédaction de WTFRU, loin de là, écouter un titre réunissant les deux rappeurs français du futur ne peut être que plaisant. C’est la même chose lorsque l’on écoute la voix de Maud Elka (qui n’est pas la sœur de Nicola-Ane Elka) dans Buzz l’éclair au chocolat. Une voix nouvelle et groovy. En bref, une petite révélation. On devrait écouter parler d’elle prochainement.
Pour un premier album, la réussite est au rendez-vous pour Dinos Punchlinovic qui se lance parfaitement dans son ascension vers la gloire. Tout cela sans dopage mais avec des références multiples et diverses et des punchlines à tout va. Et si, à force de références, Dinos devenait un rappeur … de référence ? C’est en tout cas bien parti pour. Que sa mère ne s’inquiète pas, son fils fera une grande carrière.