« D'Ariane amoureuse Thésée reçut le fil et apprit comment parcourir les replis du Labyrinthe ». Plutarque
« Prends cette pelote et déroule-la tout au long du parcours ; lorsque l'affaire sera faite, tu pourras rejoindre la sortie en rembobinant le fil. » Tel est le conseil que, selon la tradition, Ariane donne à Thésée.
Précise-t-elle, comme le propose le mathématicien Pierre Rosenstiehl : « Déroule en avançant et enroule un peu à chaque fois que tu reviendras sur tes pas » ? Conseil économique, qui suppose que le Labyrinthe comporte des voies sans issue obligeant Thésée à rebrousser chemin jusqu'au carrefour précédent (et à marquer d'un signe les couloirs déjà parcourus).
Nous ne possédons aucun détail sur la structure du Labyrinthe crétois. Entre les textes et les documents figurés, la contradiction est totale. Les monnaies de Cnossos portent un dessin gravé, tantôt cruciforme, tantôt quadrangulaire, tantôt circulaire trois schémas possibles, dont la pluralité II n'en reste aucune trace », dit Pline qui pourtant semble y croire. De surcroît, le dessin montre un parcours sinueux, certes, mais à voie unique, ne laissant aucune possibilité d'erreur. Le danger ne provient en ce cas que de la vision bornée de celui qui s'y aventure : le Minotaure risque d'être embusqué à chaque tournant. Il suffit d'être sur ses gardes. Mais le retour ne poserait aucun problème. Pas besoin de fil d'Ariane…..
Ce qui nous intéresse ici, c'est le fil d'Ariane et son mode d'action. Sa fonction est claire : il évite à Thésée de s'égarer dans le Labyrinthe et le ramène à son amante qui tient l'extrémité du fil, ce que l'on voit sur certaines images. Car on ne peut croire qu'elle lui ait simplement conseillé de nouer le bout au chambranle de la porte d'entrée, comme l'ont dit certains. C'est là méconnaître Ariane. Les poètes ne s'y sont pas trompés. Ariane qui guide les pas de Thésée ne lâche pas le fil. C'est l'amour qui mène le jeu »Françoise Frontisi-Ducroux. Ouvrages De Dames.Seuil(c'est moi qui souligne ici)
Les mythes sont eux-mêmes des labyrinthes. Nous parcourons les récits comme le « héros » a parcouru le labyrinthe. Nous cherchons le sens, nous aidant des fils d'Ariane et nous voulons, malgré les embûches, les pièges, les traquenards et les détours, parvenir au centre(la discussion critique doit se demander s'il y a bien un centre,questions à poser plus tard), à l'essentiel, là où s'agencerait la signification ultime du récit.
Comme l'indique L'art D'aimer D'Ovide , elle prend place dans la lignée mythique des « grandes et tragiques amoureuses » à l'instar de sa mère Pasiphae, de Médée(mythe des Argonautes) ,d'Hélène ou plus tard de sa sœur Phèdre.(nous sommes dans le culte d'Aphrodite).Une « histoire de dames » dira Françoise Frontisi-Ducroux. Un amour fou, né du premier regard va la conduire à des transgressions successives, trahissant son père, complice du meurtre de son demi- frère.
Selon une tradition, c'est Dédale qui suggère l'expédient et fournit à Ariane le fil qui g
Elle confie donc le fil à Thésée ainsi qu'une épée, à la seule condition qu'il accepte de l'épouser une fois sa mission remplie. Le héros va donc s'engager dans les méandres,les carrefours et les bifurcation du labyrinthe ,déroulant son fil, revenant en arrière jusqu'à ce qu'il rencontre le Minotaure, le tue et revienne à son point de départ où l'attend la princesse(.qui va connaitre les méandres de l'amour)
Selon le récit le plus connu, que reprend Ovide ci-dessous, à l'instar de Médée accompagnant Jason, Ariane suivit Thésée dans sa fuite mais ne parviendra pas à Athènes. Thésée s'empressa, en effet, de l'abandonner, endormie, sur les rivages de l'île de Naxos, où il avait fait escale. Pour apaiser les dieux dont tout héros grec redoutait la colère, Thésée rendit pourtant grâce à l'Apollon solaire et instaura,à cette occasion, une danse en l'honneur du dieu. D'après Pausanias, c'était un « un chœur de danse, qu'on dit être encore en usage aujourd'hui chez les Déliens, et dont les figures imitaient les tours et les détours du labyrinthe, sur un rythme scandé de mouvements alternatifs et circulaires ». Cette danse, portait le nom de Geranos — « danse de la grue».
« Exécuté par Thésée sur le sol de Crète, ou bien autour de l'autel d'Apollon dans l'île sainte de Délos, le branle de la grue retrace dans ses figures le péril encouru. Péril à deux visages que Callimaque rappelle dans l'Hymne à Délos:
M. Détienne précise la valeur symbolique de l'échassier pour les grecs.
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«
Ses offrandes ne suffirent pas à calmer les « Immortels » et en particulier le tumultueux Poséidon, (père du Minotaure). Celui-ci à son habitude va déclencher des tempêtes furieuses (une tradition en fait la raison de l'escale à Naxos). Le voyage de retour va durer sept mois au point que Thésée oubliera de hisser la voile blanche, en vue d'Athènes. De désespoir, le croyant mort, son père Egée se jettera dans la mort qui portera son nom.
« Si parmi vous, Romains, quelqu'un ignore l'art d'aimer, qu'il lise mes vers; qu'il s'instruise en les lisant, et qu'il aime. Aidé de la voile et de la rame, l'art fait voguer la nef agile; l'art guide les chars légers : l'art doit aussi guider l'amour. ..
Elle dit; et soudain les cymbales et les tambours qu'agitent des mains frénétiques font retentir au loin le rivage. Frappée d'effroi, elle tombe en prononçant quelques mots entrecoupés, et son sang a fui de ses veines glacées.
Cependant, du haut de son char couronné de pampres, le dieu guide avec des rênes d'or les tigres qu'il a domptés. Ariane, en perdant Thésée, a perdu la couleur et la voix : trois fois elle veut fuir, trois fois la crainte enchaîne ses pas; elle frémit, elle tremble, comme la paille légère ou les roseaux flexibles qu'agite le moindre vent. Mais le dieu : "Bannis, lui dit-il, toute frayeur; tu retrouves en moi un amant plus tendre, plus fidèle que Thésée : fille de Minos , tu seras l'épouse de Bacchus. Pour récompense je t'offre le ciel; astre nouveau, ta couronne brillante y servira de guide au pilote incertain." À ces mots, il s'élance de son char dont les tigres auraient pu effrayer Ariane; la terre s'incline sous ses pas; pressant sur son sein la princesse éperdue, il l'enlève. Et comment eût-elle résisté ? un dieu ne peut-il pas tout ce qu'il veut ? Tandis qu'une partie du cortège entonne des chants d'hyménée, et que l'autre crie : Évohé ! Évohé ! le dieu et sa jeune épouse consomment le sacrifice nuptial. Ovide Art D'aimer Livre
« Ariane, ma soeur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée. »
Pour d'autres elle mourut d'une flèche d'Artémis sur ordre de Dionysos jaloux qui l'avait convoitée en vain. Une dernière version plus ancienne et plus favorable au héros,(sans doute athénienne) prétendit que Thésée et Ariane auraient trouvé refuge sur l'île de Dia à la suite d'une tempête. Athéna protectrice de Thésée lui serait apparue pur lui apprendre qu'Ariane était promise à Dionysos et que par conséquent, il devait renoncer à elle.
Hésiode reprit l'histoire dans sa Théogonie : « Dionysos aux cheveux d'or pour florissante épouse prit la blonde Ariane, la fille de Minos , que le fils de Cronos a soustraite à jamais à la mort et à la vieillesse ». L'union d'Ariane et de Dionysos pourrait prendre place dans un mythe égéen primitif, où ils représentaient tous deux des divinités de la végétation. Ariane (mère de l'orge) étant soumise comme toute plante à une mort suivie de résurrection. L'épisode des amours d'Ariane et de Thésée aurait été surajouté tardivement.
L'une des propositions qui met le mieux en valeur cette nouvelle qualité accordée au mythe est celle de Claude Lévi-Strauss, qui formalise dans la Pensée sauvage le mythe non seulement comme objet, mais comme procédé de réflexion complémentaire de la pensée scientifique. La « réflexion mythique » n'est pas seulement une pensée primitive, c'est-à-dire une forme primitive de la pensée, mais elle est analysée comme un « bricolage », c'est-à-dire une forme d'activité intellectuelle à part entière. Le mythe est le résultat d'un jeu qui consiste à s'arranger avec les « moyens du bord », à se débrouiller, sans plan ni modèle conscient, avec ce qui peut tomber sous la main pour construire un édifice. L'absence de schéma ou de projet préétabli n'est pas synonyme d'absence de logique ou d'efficacité, bien au contraire : le mythe catalogue, inventorie, ordonne et réarrange tout ce qui peut passer à sa portée, et se définit donc comme un instrument spéculatif. Le fait que le mythe ne recoure pas à la logique hypothético-déductive, celle des sciences mathématiques traditionnelles, par exemple, ne le rend pas moins profondément et intimement rationnel. Dans cette optique, le mythe n'est plus faux sous prétexte qu'il s'oppose à la véracité du discours scientifique, il est autre : il est un mode d'organisation des éléments qui fonctionne par opposition et complémentarité, parallélismes et inversions. L'analyse de Claude Lévi-Strauss permet non seulement une réhabilitation du mythe, mais aide à définir un certain nombre de principes opératoires sur lesquels la mythologie contemporaine se fonde aujourd'hui…Charles Delattre Manuel De Mythologie Grecque. Breal. (c'est moi qui souligne ici)
Pour Françoise Frontisi-Ducroux, dans « OUVRAGES DE DAMES », Ariane n'est pas une simple intermédiaire destinée à servir simplement les desseins de Thésée. « Le fil, dont la souplesse peut reproduire les sinuosités du dédale et en résoudre l'aporie, est un fil de laine, et il sort nécessairement des mains d'une femme ».
Dans le mythe Dédale et Ariane représentent, à côté de la force brutale du « monstre et du héros, la Métis, l'intelligence tactique, telle que la définit M. De Certeau :
« La tactique n'a pour lieu que celui de l'autre. Aussi doit-elle jouer le terrain qui lui est imposé tel que l'organise la loi d'une force étrangère. Elle n'a pas le moyen de se tenir en elle-même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement 'à l'intérieur du champ de vision de l'ennemi'….et dans l'espace contrôlé par lui. Elle n'a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l'adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des «occasions »… Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne. Elle y crée des surprises… Elle est ruse. En somme, c'est un art du faible »
« L'état des choses s'enchevêtre, mêlé comme un fil, un long câble, un écheveau. Les connexions n'ont pas toujours leur dénouement.
Dévoiler ne consiste point à ôter un obstacle, enlever un décor, écarter une couverture, sous lesquels gît la chose nue, mais à suivre patiemment, avec un respectueux doigté, la disposition délicate des voiles, les zones, les espaces voisins, la profondeur de leur entassement, le talweg de leurs coutures, à les déployer quand il se peut, comme une queue de paon ou une jupe de dentelles.
Le tisserand, la fileuse, Pénélope ou autre, m'étaient jadis apparus comme les premiers géomètres, parce que leur art ou leur artisanat explore ou exploite l'espace par nœuds, voisinages et continuités, sans nulle intervention de la mesure, parce que leurs manipulations tactiles anticipent la topologie. Le maçon ou l'arpenteur devancent les géomètres au sens étroit de la métrique, mais celle ou celui qui tisse ou file les précède dans l'art, dans l'idée, sans doute dans l'histoire. On a dû s'habiller avant de bâtir, se vêtir flou avant de construire en dur.
A généraliser cette hypothèse, on dira que le tissu, le textile, l'étoffe donnent d'excellents modèles de la connaissance, d'excellents objets quasi abstraits, premières variétés : le monde est un amas de linges. La femme, pour la connaissance, prévenait depuis longtemps le mâle. ». Michel Serres .Les Cinq Sens.Grasset
En Grèce ancienne, le travail de la laine (et des autres matériaux servant à la fabrication des textiles) est spécifiquement féminin.
« La subtilité passe sous la toile. Telle figure paraît, devant, une forêt de nœuds la conditionne, derrière. On dirait, déjà, quelque élément d'ordinateur…La subtilité enchevêtre la trame et la chaîne, l'une sur l'autre ou en dessous d'elle, haute ou basse lisse. L'entrelacs désigne une situation analogue, plus subtile encore. Pouvons-nous placer un troisième lacet entre les deux fils, où le faire passer? Dessous, dessus, à côté, que signifie ce côté? »
«
A l'instar de l'artisanat que symbolise Dédale, l'art féminin est donc affaire de Métis, de cette intelligence rusée et d'habileté technique que matérialisera également Pénélope et qui fait qu'une simple pelote de fil triomphera des obstacles du labyrinthe. Celui-ci, d'ailleurs, selon Virgile, est « un parcours tissé de parois aveugles ». Le fil rend intelligible le parcours qu'il dessine. Plutarque marque sa relation avec la connaissance du labyrinthe par l'étymologie. Le verbe melissein qui désigne le déroulement de la bobine, renvoie à « faire tourner, (d'où le mot hélice), le mouvement du fuseau et du préverbe ana-, « en arrière, en remontant ». « Enrouler à rebours », c'est dérouler, et ce verbe s'applique aussi au déroulement d'un rouleau manuscrit. Par extension, il signifie « lire » et « expliquer ». Dérouler le fil, c'est donc « expliquer » le Labyrinthe.
(A suivre)