Indépendamment de nos petites satisfactions, le monde extérieur se dissolvait de jour en jour. Les disparitions dont le rythme s'était calmé depuis celle des roses se produisirent deux fois de suite. Il y eut celle des photographies puis des graines.
Au moment où, ayant rassemblé tous les albums photos de la maison, y compris celles de ma mère dans un cadre posé sur le manteau de la cheminée, je m'apprêtais à aller les brûler dans le petit incinérateur du jardin, R tenta de toutes ses forces de me convaincre d'y renoncer.
- Les photos, ce sont des objets précieux qui conservent les souvenirs. En les brûlant, vous faites une chose irréparable. Il ne faut pas. Absolument pas.
- Mais c'est impossible de m'y soustraire. Puisque le moment de leur disparition est arrivé, lui répondis-je.
- Quand vous n'aurez plus de photographies, comment vous souviendrez-vous du visage de vos parents ? me demanda-t-il d'un air profondément sérieux.
- Ce sont les photos qui disparaissent. Pas mes parents. Alors ce n'est pas grave. Je n'oublierai jamais leur visage.
Extrait de Cristallisation secrète de Yoko OGAWA
Photos à Tokyo, Kagurazaka, mai 2010