En Grande-Bretagne, le torchon brûle entre la direction du Labour Party et le syndicat Unite (le plus important du pays). C’est la désignation d’un candidat à Falkirk qui a mis le feu aux poudres. Selon la direction du Labour, des syndiqués de Unite auraient participé à la désignation du candidat à l’insu de leur plein gré, faisant basculer le résultat en faveur du candidat supporté par le syndicat. La direction du Labour a fini par décider de geler le résultat de cette désignation, en suspendant la candidate soutenue par Unite, tout en refusant d’expliquer pourquoi elle avait fait appel à la police…
Pourquoi la modeste circonscription de Falkirk – bastion travailliste, un poil menacé par le Scottish National Party - devient l’épicentre de la crise entre Unite et le Labour ? Le précédent élu, le dépensier et alcoolique Eric Joyce, avait été viré du Labour en 2012 après diverses frasques et voies de fait. La place laissée vacante, Unite, conformément aux traditions qui lient les syndicats au Labour, souhaitait l’investiture d’un candidat qui soutienne les revendications du monde du travail.
Et voilà Ed Miliband, leader du parti travailliste, qui « pique une colère ». Grosse ficelle. Il saisit surtout l’occasion de régler les comptes avec les syndicats. Tenant une conférence de presse mardi 9 juillet 2013, Ed Miliband commente ces événements avec des trémolos blairistes du genre « le parti doit représenter la nation et non certaines catégories », et en rajoutant sur le thème « le Labour doit rompre avec le vingtième siècle et entrer au vingt et unième ». Ed le rouge (oui c’est ironique, il n’a jamais aimé qu’on dise de lui qu’il est issu de l’aile gauche), se permet quelques révisions de l’histoire du Labour, dans laquelle selon lui les syndicats n’auraient eu, un siècle plus tôt, qu’un rôle mineur en apportant leur aide.
Manuel Valls chez les Britons
Non coco, ce sont les syndicats qui ont fondé - lors d’une conférence en février 1900 - le Labour Representation Committee, censé représenter la classe ouvrière. Comité qui s’est ensuite constitué en Labour Party en 1906. Un rôle mineur donc. Une nouvelle déclaration de guerre à peine déguisée. Digne de Tony Blair qui en 1995 voulait réduire l’influence des syndicats dans le Labour Party. Tony Blair est sorti de l’oubli d’ailleurs pour féliciter le « courage » de son successeur (lire l’article du Guardian)
Cette offensive est assortie de mesures qui entérinent la rupture organique, notamment la fin de l’adhésion automatique des syndiqués au Labour.
On comprend, dans un tel climat, que le secrétaire général de Unite, Len Mc Cluskey, estime qu’il n’a « plus la moindre confiance dans la direction du Labour ». Et il souligne d’ailleurs que si la désignation de Falkirk était effectivement entachée d’irrégularités, il ne voit pas pourquoi cela devrait salir l’ensemble du syndicat. Il a demandé qu’un commission d’enquête indépendante lève le voile sur ce qui s’est passé. Pour le moment la direction du Labour Party s’y refuse.
Si Mc Cluskey annonce qu’il s’accommodera d’un changement de relations entre le syndicat et le Labour Party, d’autres dirigeants syndicaux montent au créneaux pour critiquer Ed Miliband, comme Billy Hayes, secrétaire général du Communication Workers Union (200.000 adhérents).
La rupture entre le New Labour et les syndicats, au fond, n’a rien de neuf. Elle a commencée dès la fin du premier mandat de Tony Blair en 2001. A cette date, le GMB (General Workers Union, 3e syndicat du pays avec plus de 615 000 adhérents) a décidé de réduire ses subventions au Labour. Il a d’ailleurs ciblé les suppressions de subventions les années suivantes, en visant les parlementaires du Labour qui prenaient des décisions contraire aux intérêts de la classe ouvrière (Oui Nathanaël, ils subventionnaient aussi le Swindon Town Football Club, mais ils ont arrêté en 2011, l’embauche du manager Paolo Di Canio, admirateur de Mussolini leur est restée en travers de la gorge).
Sur le fond politique, il est vrai que la rupture est consommée depuis plusieurs années et sur tous les sujets : défense des services publics, éducation, guerres menées en Irak et en Afghanistan, les retraites… la liste est bien longue. Le nombre de grèves est reparti en hausse en 2000 et Gordon Brown, le successeur de Blair, n’a pas plus convaincu. Comme le disait la porte parole du syndicat UNISON (1.300.000 membres), Jane Carolan en 2006 : « What’s the difference between Gordon Brown and Tony Blair ? One thinks he’s God, the other knows he’s God » (« Quelle est la différence entre Gordon Brown et Tony Blair? L’un pense qu’il est dieu, l’autre sait qu’il est dieu »).
On aurait pu naïvement penser que le Labour, relégué dans l’opposition, allait renouer avec les syndicats qui se trouvent en première ligne dans la bataille contre l’austérité. Il n’en est rien, en pleine bagarre contre la privatisation du système de santé (NHS), Unite se prend un coup de poignard dans le dos. Pour les syndicats britanniques, la représentation politique des intérêts de la classe ouvrière est à reconstruire.
Nombre de journées de grève – cumuls annuels
(premier Ministre en exercice)
1996 : 1.303.000 (Major)
1997 : 235.000 (Blair)
1998 : 282.000
1999 : 242.000
2000 : 499.000
2001 : 525.000
2002 : 1.323.000
2003 : 499.000
2004 : 905.000
2005 : 157.000
2006 : 754.500
2007 : 1.041.100 (Brown)
2008 : 758.861
2009 : 455.000
2010 : 365.000 (Cameron)
2011 : 1,389,700
2012 : 249.000
Source : Office for National Statistics.
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