10 juillet 2013
Le 7 février 1962, l'appartement qu'occupe André Malraux à Boulogne est plastiqué par l’OAS. Il est absent mais Delphine Renard, la fillette des propriétaires, est gravement atteinte par l'effet de blast de la bombe placée au pied de la fenêtre. Le même jour, rue Bonaparte et pour la deuxième fois, l’appartement de Jean-Paul Sartre est plastiqué.
Le lendemain, une importante manifestation contre la barbarie de l'OAS est violemment réprimée au métro Charonne : neuf morts. C’est la photo de Delphine Renard publiée dans Paris Match qui fait basculer l’opinion, et lui fait désapprouver le terrorisme aveugle - c'est bien le cas de le dire.
C’est avec un verset du Deutéronome que Delphine Renard a choisi de titrer le récit de sa vie, qui faillit s’interrompre, alors qu’elle avait quatre ans et lisait (déjà !) un livre de Babar, allongée sur le parquet de sa chambre, au rez-de-chaussée de la maison de sa grand-mère où habitait aussi André Malraux.
Car la cible de l’OAS, c’était lui, mais la victime, ce fut cette adorable enfant aux boucles indomptées, dont la photographie ensanglantée fit la Une de toute la Presse, un voyeurisme de journaliste risquant de rendre encore plus graves ses blessures.
Elle y perdit immédiatement un œil, et la moitié de l’audition, plus tard elle fut opérée par un chirurgien américain touché par son malheur et qui améliora – au prix de nouvelles souffrances – son visage. Pendant des années, des éclats de verre continuèrent à réapparaître dans ses chairs, elle n’avait plus la vision du relief, son œil sauvegardé souffrait de plus en plus, jusqu’à ce qu’entre vingt-huit et trente ans, elle devînt totalement aveugle.
Cependant, son récit nous raconte aussi une autre histoire que celle d’une victime du terrorisme : celle d’une enfant manifestement surdouée qui se mure dans la solitude, de sa relation conflictuelle avec son père, porteur d’un lourd secret, avec sa mère évanescente, sa grand-mère adorée mais si frêle, si fragile, le parcours bouleversé et bouleversant d'un être talentueux en miettes, plein de contradictions et qui touche à tout : diplômée de Sciences-Po et d’histoire de l’Art (tant qu'elle voit encore, elle est critique d'art contemporain), elle apprend le chant lyrique, la guitare, le violoncelle, l’hébreu, se convertit au judaïsme par respect pour la religion de son grand-père, puis se lance dans la psychanalyse.
Delphine Renard, qui exerce aujourd'hui comme psychologue et psychanalyste, a longtemps fui toute publicité sur son destin tragique, jusqu’aux cérémonies marquant le cinquantenaire de l’attentat. Elle en explique les raisons. Son récit n’est pas un livre politique mais une façon d’exprimer son propre avènement à la lumière, son épanouissement de femme au parcours exceptionnel. Et elle écrit bien. Mais si vous cherchez une de ses photos, vous trouverez celle d'une soprano en concert ....
Lorsque vous la rencontrerez au Luxembourg avec Phèdre, sa chienne-guide, vous saurez qui elle est et les épreuves qu’elle a surmontées.