(Roc-A-Fella/Roc Nation/Universal)
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« #NEWRULES ». Voici le maître mot qui entoure la sortie de Magna Carta… Holy Grail, le douzième album solo dans la discographie de Jay-Z. Parce qu’il sait qu’il va débuter directement à la première place des charts comme avec les onze précédents (un record mondial au passage devant les Beatles ou Elvis Presley), Shawn Carter a donc décidé de changer les règles du jeu.
Ce nouvel album lance un concept marketing original qui va sûrement trouver écho chez la concurrence dans les mois et les années à venir. Repose en paix le physique, voici l’ère du tout-digital. Un partenariat avec Samsung pour télécharger une application donnant accès à l’album avant sa sortie en magasin, il fallait y penser. Et le boss du game l’a fait.
Oui, Jay-Z se veut être le boss de l’entertainment. Si le mec a délivré son premier teaser le jour de la sortie de Yeezus de Kanye, ce n’est pas un hasard, et si vous le pensiez, vous êtes bien naïfs. Le message est clair « tu es bon mon petit, mais tu resteras à jamais mon second ». Et l’affaire semble entendu. Sa promo sera meilleure que celle de son lieutenant, c’est écrit. Pas plus de single en éclaireur, une deadline toute aussi courte mais cette campagne marketing de tout premier ordre donc. Et puis cette session Twitter hallucinante hier où il a répondu à ses fans pendant plus de trois heures. Le petit plus, la cerise sur le gâteau.
Reste qu’un album ne peut pas reposer uniquement sur l’emballage (encore que…) et doit convaincre par son contenu. Et aussi génial soit le Jigga man, on ne peut pas dire que ce fût toujours été le cas. Depuis son retour de sa fausse retraite, on a eu trois albums inégaux (Kingdom Come, American Gangster, Blueprint 3) et on l’a souvent répété, c’est aujourd’hui l’homme d’affaires plus que le rappeur qui s’exhibe sur disque. « I’m not a businessman, I’m the business, man » comme il dit si bien.
Mais une chose a changé depuis BP3 en 2009: Jay-Z est devenu père. Un angle de vu qui sera forcément intéressant à voir en action et aérera un peu les textes mégalos et luxueux du gars. Un tout petit peu au moins… Parce qu’il a aussi entre temps fait passer une franchise NBA en fond de cale à prétendant au titre (Brooklyn Nets) en modelant la franchise à sa guise, est devenu agent de joueur, reste le meilleur poto d’Obama, etc etc. De quoi se la raconter encore pas mal.
Des lamborghinis, du champagne, des billets verts comptés par tranche de millions, de la mode (Tom Ford) et même tout un texte à la gloire de l’art pictural (Picasso Baby). Hova est au-dessus de la mêlée et veut encore le prouver. Rien de neuf sous le soleil de Tribeca donc. N’empêche que personne ne le fait aussi bien que lui et qu’il maitrise encore l’art du name dropping et de la métaphore à la perfection. Lorsqu’il invite Rick Ross, peut être ce qui se fait de mieux aujourd’hui en guise de textes bling-bling, sur FuckWithMeYouKnowIGotIt, Carter fait mieux que tenir tête au gros floridien.
Il réussit encore à nous trouver des phases qui resteront longtemps en tête, des ["Feelin' like stranger in my own land, got me feelin' like Brody in Homeland"] ou l’imparable ["They See i'm still puttin work in, cause somewhere in America, Miley Cyrus is still twerkin"] avec le final « Twerk, Twerk, Miley, Miley, Twerk » déjà repris un peu partout.
Il en a encore sous le pied ce con.
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Jay-Z – Picasso Baby
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Jay-Z – Somewhere In America
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Du clinquant sur papier certes, mais moins dans l’ambiance musicale du disque. Et elle est là la vraie surprise! On est loin, très loin, des orchestrations de BP 1 et 3 ou du Black Album. Il s’agit d’ailleurs peut être même de son album le plus sombre ou disons du plus adulte. Pour donner un ordre d’idée, l’opus se termine quand même sur une relecture d’un morceau de Gonjasufi, Nickels & Dimes, pas franchement l’artiste le plus enjoué du monde.
Bah oui, à 42 berges, Mr Carter se pose. Et sa lucidité n’en sort que grandi. C’est d’ailleurs sur ce point que cet album gagne le plus en solidité. Il n’est jamais aussi fort et intéressant ici que lorsqu’il nous sort le très puissant et cinglant F.U.T.W (Fuck Up the World) ou Jay-Z Blue, un de ses meilleurs textes ever avec son angoisse autour de son nouveau rôle de papa. On l’aime aussi en champion du melon hein mais le revoir se concentrer sur l’essentiel, ça fait plaisir!
L’autre grande surprise, c’est que cette mise en scène sonore est l’oeuvre d’un homme plus habitué à faire dans le futurisme que dans le classissisme et le retour aux bases. Et surtout un homme qu’on a pointé du doigt ici même il y a peu pour son manque d’inspiration sur le dernier Timberlake. Oui, tout l’habillage ou presque, c’est Timbaland aux manettes. Et très franchement, on est sur le cul parfois. Si sa patte est reconnaissable sur l’excellente introduction Holy Grail, sur Tom Ford ou La Familia, c’est largement moins le cas pour Picasso Baby, Heaven et surtout F.U.T.W qu’on aurait plutôt attribué à un Alchemist par exemple…
La preuve que Timbo est grand et sait se renouveler. Et on espère le voir à ce niveau-là pour ses futurs projets et pas dans ses délires pop moisis.
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Jay-Z – F.U.T.W.
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Jay-Z – Jay-Z Blue
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Avec Timbaland, on retrouve Pharrell Williams, pas au meilleur de sa forme pour le coup, Mike Dean, la nouvelle génération représentée par Hit-Boy, Boi1da mais surtout WondaGurl, une canadienne de 16 ans (!) qui vient mettre sa patte sur Crown. Chapeau bas à elle. En featuring, on retrouve Justin Timberlake, nouveau poto for life de Jigga, Nas et bien évidemment Beyoncé pour l’habituel duo sur Part.II, sorte de règlement de compte pour les haters du couple princier. Et comme toujours c’est le moins bon morceau du disque, à croire que leur force s’annule.
A vrai dire, c’est le seul titre vraiment plus faible, même si BBC ou Oceans de Pharrell manquent aussi de force. Et c’est rare d’avoir aussi peu de déchet sur un disque signé Jay-Z.
Lucide il l’a été aussi lors de ses tweets hier en disant que ce disque ne rivalise pas avec le sacro-saint triptyque Reasonable Doubt-The Blueprint-The Black Album (oui, le gars peut se permettre en pleine promo de dire que ce n’est pas son meilleur disque hein) mais qui peut lutter pour la quatrième position dans sa discographie. Et pour le coup, on est assez d’accord. Il s’agit d’un de ses projets les plus cohérents et s’il ne révolutionne rien, il reste quand même largement devant 99,9% du rap game.
Et pendant que Kanye s’échine à vouloir bousculer le monde à chaque sortie, Jay-Z passe un coup de ponceuse sur son trône en or massif. Il reste le roi, « el padrino«
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Tracklist: 1. Holy Grail (feat. Justin Timberlake) 5:38
2. Picasso Baby 4:06
3. Tom Ford 3:09
4. FuckWithMe... (feat. Rick Ross) 4:03
5. Oceans (feat. Frank Ocean) 3:58
6. F.U.T.W. 4:03
7. Somewhere In America 2:28
8. Crown 4:34
9. Heaven 4:03
10. Versus 0:52
11. Part.II (on the run) (feat. Beyoncé) 5:34
12. Beach is Better 0:56
13. BBC (feat. Nas, Beyoncé, Justin Timberlake, Swizz Beatz, Timbaland & Pharrell Williams) 3:13
14. Jay-Z Blue 3:50
15. La Familia 3:34
16. Nickels & Dimes 5:03
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