Depuis plusieurs années, une réelle politique de sensibilisation à l’ESS à destination des jeunes est à l’œuvre, tant au niveau national que dans les régions: forums pour l’emploi, programme national Jeun’ESS, appels à projet… Elle vise à convaincre de l’intérêt et du potentiel de développement de ces métiers qui mêlent développement local, utilité sociale, et fonctionnement démocratique au sein de structures aux statuts variés: associations, mutuelles, coopératives et fondations. Toutefois, si les études sur l’emploi des jeunes en général (besoins de recrutement des entreprises, conditions d’embauche…) ne manquent pas, une analyse appliquée aux spécificités de l’ESS reste à produire.
Ce rapport sur l'emploi des jeunes dans l'ESS entend répondre à cet enjeu. Il fait suite à l’étude menée par le CNCRES et ses partenaires en 2011 sur les départs à la retraite dans les structures de l’ESS(1) , qui a permis de mettre en lumière plusieurs réalités:
- d’une part, une pyramide des âges dans les structures de l’ESS largement à la défaveur des jeunes de moins de 30 ans : ils représentent en effet seulement 19% des effectifs salariés (2),
- d’autre part, plus de 600 000 départs à la retraite à anticiper d’ici 2020 et par conséquent un besoin de renouvellement des équipes.
- Parallèlement à ce double constat, l’actualité politique et législative justifie d’autant plus l’intérêt de l’étude avec le lancement des « Emplois d’Avenir » et des « Contrats de Génération » qui concernent également les structures de l’ESS.
CE QUE L'ON PEUT EN RETENIR :
1. Synthèse et Mise en perspective Plus de 435 000 jeunes travaillent dans une structure de l’ESS, en très grande majorité dans les associations de l’Action Sociale, de la Banque et de l’assurance, de l’Enseignement. Ils représentent aussi les forces vives de plusieurs secteurs comme les Sports et Loisirs et la Santé. Les conditions de travail et d’emploi, bien que moins avantageuses en termes de rémunération, sont dans plusieurs secteurs d’activité comparables au reste du privé et au public.
Si globalement une stabilité de la place des jeunes salariés au sein des structures est envisagée, la bonne dynamique de recrutement initiée ces dernières années notamment via les emplois aidés devrait se poursuivre. Les employeurs ayant répondu à l’enquête en ligne se montrent donc plutôt optimistes sur l’avenir.
L’enquête souligne l’importance d’une première expérience dans l’ESS et de l’acquisition d’un savoir-être : dans le recrutement, les aptitudes relationnelles du jeune sont particulièrement regardées. Cela est d’autant plus vrai pour des fonctions de gestion de projet ou de chargé de mission. A la différence des métiers de l’animation ou du soin, dont les diplômes d’Etat (aide à domicile, infirmière, animateur…) garantissent un socle minimum de compétences, il n’existe pas une unique formation délivrant une qualification en gestion de projet.
En ce sens, au-delà des savoir faire, une acculturation aux valeurs et pratiques de l’ESS est aussi recherchée par les employeurs. Celle-ci peut être « mesurée » par les employeurs de différentes manières : expérience bénévole, stage découverte ou longue durée, montage de projet étudiant…
Quelle que soit la nature de l’expérience, il est important de la traduire en termes de compétences (1) De fait, lors du recrutement d’un jeune salarié, les premiers éléments que les recruteurs prennent en considération sont la motivation et les compétences. Pris séparément, ces critères de recrutement ne distingue pas forcément l’ESS par rapport au reste de l’économie. Cependant, quand les employeurs expliquent pourquoi ces critères sont importants, alors les contours de l’ESS se dessinent plus clairement : autonomie sur un projet et capacité d’initiatives, gouvernance particulière des structures…
Un autre élément qui se dégage à la fois de l’enquête en ligne et des entretiens est la formation. Bien que peu souvent mise en avant par les structures de l’ESS dans leur recrutement (annonces etc.), elle constitue un point fort pour de nombreuses mutuelles de santé et d’assurance et d’associations. Il apparaît que la formation est tout à fait intégrée à la réflexion sur les RH et donne par conséquent un caractère très évolutif à une carrière dans l’ESS : acquisition d’expérience, mais aussi de compétences nouvelles. (1) Exemple : organisation d’un concert « solidaire » dont les fonds seront reversés à une association = compétences en gestion de relations externes et partenariats, gestion d’un budget, communication événementielle, travail d’équipe et coopération…
Bonne pratique : formation et ESS, une alliance gagnante !
Dans cette mutuelle de santé à dimension nationale, chaque nouveau salarié recruté suit un parcours de formation très précis. A raison d’une semaine par mois durant une année complète, il participera à des modules sur l’histoire de la Mutualité et de l’ESS, et des modules à dominante « technique » (vente, commercial, relation client…) ou « sociale » (sécurité sociale, problématiques de santé…) selon le profil du jeune salarié. La formation est assurée par la Mutualité Française, avec un encadrement et un suivi par la mutuelle : certains modules sont accessibles via une plateforme de e-formation tandis que d’autres sont assurés en présentiel. La structure bourguignonne de cette mutuelle intervient également dans un BTS « Sanitaire et Social » sur le thème de l’ESS et de la Mutualité, ce qui lui permet, entre autre, d’accueillir chaque année un à deux stagiaires issus de cette formation.
Il existe toutefois des structures qui objectivement proposent des avantages très intéressants, comme celui cité plus haut, mais ont pourtant du mal à recruter des jeunes : c’est par exemple le cas d’un certain nombre de structures du secteur Médico-social. Au-delà d’un désintérêt pour le métier, qui n’est pas ressorti dans cette enquête et qui par ailleurs demeure délicat à mesurer, l’explication est plutôt à trouver dans le contexte local : isolement de l’établissement, implantation historique en milieu rural qui ne correspond plus aux désirs des jeunes générations…
Plus généralement, y a-t-il un facteur rural/urbain dans l’explication des difficultés rencontrées par les structures relativement les plus inquiètes par rapport à l’emploi des jeunes (questions 15 et 17) sont plutôt situées en Zones Urbaines Sensibles (ZUS) et non en milieu rural. A ce sujet, l’étude révèle que si certains employeurs de l’ESS sont « inquiets» quant à l’avenir de leur structure, ce n’est pas tant sur la question de l’emploi des jeunes que sur l’accès aux financements et par conséquent la survie même de l’activité.
Le lien entre l’emploi des jeunes et la vague de départs en retraite que vont connaître les structures de l’ESS n’est pas automatique du fait de ces difficultés économiques, mais les besoins sont réels. Les métiers de cadres et les postes de direction seront concernés, notamment dans des secteurs où les jeunes salariés sont très minoritaires : cadre de la banque, de la formation, de l’audiovisuel... Toutefois, comme le montre l’enquête en ligne, les mouvements sur ces métiers resteront assez limités dans les trois à cinq ans à venir, et sont plutôt à attendre à partir de 2020.
Par ailleurs, on note chez les employeurs de l’ESS une anticipation sur les Contrats de Génération. De nombreuses structures (comme les mutuelles par exemple) réalisent déjà un tel accompagnement lors du recrutement d’un jeune : le dispositif viendra alors reconnaître ces pratiques tout en apportant une aide financière complémentaire.
Enfin, un regain d’activité est attendu pour une partie des structures de l’ESS, suite à la réforme des temps scolaires : les associations vont être particulièrement concernées. Pour certaines villes, la réforme s’appliquera dès la rentrée 2013, à défaut en 2014 : des recrutements sont donc à prévoir, notamment dans les secteurs de l’Animation, du Sport et loisirs, des Arts et spectacles. Même si les postes occupés par les jeunes sont souvent à temps partiel (autour de 15 à 20h par semaine) cela peut être, comme nous l’avons vu précédemment, une porte d’entrée dans l’ESS.
2. Les Préconisations Ces résultats sont plutôt encourageants et les dynamiques à venir pour les jeunes dans l’ESS apparaissent positives. Mais comment les employeurs peuvent-ils concrétiser ces projections et attirer les jeunes vers leurs métiers ? A- Attractivité : Pour les structures connaissant des difficultés à recruter des jeunes, il convient de se recentrer sur leurs pratiques concrètes : que veut dire « secteur privé non-lucratif » ? Que veulent dire « réserves impartageables »… ? Il s’agit là d’établir des ponts concrets et compréhensibles par tous entre des statuts garants d’un fonctionnement démocratique et collectif d’une part, et des aspirations de la jeunesse à plus de sens et d’équité d’autre part. C’est l’occasion également de resserrer le lien entre les structures historiques de l’Economie Sociale (comme les mutuelles, les coopératives agricoles…) et les structures plus récentes de l’Economie Solidaire.
Ce faisant, les points forts et avantages de travailler dans l’ESS apparaîtront plus clairement : de fait, il est intéressant de pointer que l’on peut faire carrière dans l’ESS, mais une « autre » carrière. En effet, comme évoqué précédemment, les entretiens menés lors de cette étude montrent que les jeunes salariés de ces structures obtiennent plus facilement l’autonomie et la vision globale d’un projet. Les rémunérations sont globalement inférieures au reste du secteur privé et du public, mais elles évoluent tout de même. Par ailleurs dans le cadre d’un premier emploi ou d’un deuxième emploi, ce qui est souvent le cas pour les moins de 30 ans, la rémunération est un des critères de choix, mais il n’est pas le seul : l’équilibre vie privée/vie professionnelle (donc le temps de travail effectif, par exemple), l’éthique, le caractère collectif du management et des tâches comptent également dans la réflexion des jeunes. Enfin, les données présentées dans l’étude peuvent être reprises et utilisées par les employeurs : elles permettront ainsi aux structures de se situer par rapport à l’emploi des jeunes, dans leur métier, leur secteur d’activité et leurs pratiques. Une démarche de progrès est susceptible d’être engagée sur cette base, et sur de nombreux aspects : conditions de travail, rémunération, évolution de carrière, formation, accompagnement etc.
B- Acculturation et fidélisation : Nous avons souligné l’importance d’une acculturation à l’Economie Sociale et Solidaire : cela se fait par une transmission des valeurs (solidarité, démocratie…) mais s’expérimente aussi par la pratique tout au long du parcours de formation. C’est pourquoi un lien est à faire entre les structures de l’ESS et le milieu de l’enseignement, notamment l’enseignement supérieur et professionnel. Cela peut prendre différentes formes : intervention dans des formations (présentation d’un secteur, d’un modèle d’entreprise…), proposition de stage, proposition d’un travail de groupe, contact avec le Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle (1), contact avec les réseaux de jeunes et projets en commun… L’idée est de faire à travers ces actions de la pédagogie sur ce qu’est l’ESS, en particulier sur : l’organisation du travail – coopération plutôt que concurrence –, les valeurs – enrichissement collectif plutôt qu’enrichissement individuel – etc. Ce travail au plus près des jeunes permet d’aller à l’encontre des idées reçues qu’ils peuvent avoir, mais aussi d’identifier les structures de l’ESS comme mettant en pratique les valeurs auxquelles les jeunes sont sensibles : par exemple, traduire des statuts juridiques en fonctionnement concret auprès des jeunes va dans le sens d’une meilleure connaissance / reconnaissance des spécificités de l’ESS, et cela bénéficiera in fine aux employeurs
(1) Obligatoire dans les Universités depuis 2007, ce bureau est notamment chargé de diffuser aux étudiants une offre de stages et d’emplois variée et en lien avec les formations proposées par l’université et d’assister les étudiants dans leur recherche de stage et d’un premier emploi. Il conseille les étudiants sur leurs problématiques liées à l’emploi et à l’insertion professionnelle.
C- Amélioration des pratiques de recrutement La mutualisation et la coopération sur un territoire entre structures qui ont les mêmes problématiques est également une piste à explorer. Concurrence du secteur privé lucratif, difficulté à pérenniser des emplois, désintérêt des jeunes pour un métier ou un territoire…tous ces freins à l’emploi, et notamment à l’emploi des jeunes, peuvent être levés par une meilleure entente des acteurs de l’ESS. Ainsi des groupements d’employeurs permettent souvent de régler des problèmes d’ordre financier (manque de moyen) tout en proposant au(x) salarié(s) de meilleures conditions de travail (poste à temps plein). De même, regrouper plusieurs structures dans un même lieu, en adoptant un fonctionnement et une image plus collectifs, peut aider à attirer des jeunes sur un territoire considéré comme déserté (1) . Enfin, dans le recrutement, les relations avec les opérateurs de l’emploi sont primordiales : Pôle Emploi, Maisons de l’Emploi, Missions Locales… Améliorer l’interconnaissance permettra aux employeurs de l’ESS d’être mieux identifiés afin que les profils adaptés soient repérés et orientés (2) Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de dispositifs spécifiques, comme les Emplois d’Avenir, les Contrats de Génération ou les Contrat d’Insertion, car les questions d’accompagnement à la formation y sont essentielles, et les modalités parfois compliquées à mettre en œuvre
(1) C’est par exemple le cas des entrepreneurs de Faux la Montagne (Limousin) ; voir http://www.defilenreseaux.org/
(2) Sur ce sujet, une étude-action de l’Usgeres devrait rendre des conclusions d’ici l’automne 2013.
3. Vers un diagnostic complet ? Comme évoqué précédemment, cette étude présente quelques limites : la réflexion à partir de grands secteurs d’activité n’est pas véritablement efficace et le nombre de réponses « Autre » rend l’analyse plus complexe ; il en est de même pour les fonctions et les types de postes. Ces constats sont cependant valables pour d’autres études sur l’Economie Sociale et Solidaire : il y a donc une nécessité d’ouvrir un chantier là-dessus. La réflexion par branche professionnelle est peut-être plus pertinente, elle mérite en tout cas d’être lancée. En dépit des différences de taille et de statuts entre structures d’une même branche, celles-ci se retrouvent sur de nombreuses problématiques : pratique d’un métier, conjoncture économique et sociale… offrant ainsi un cadre d’analyse cohérent. Si le côté employeur a bien été exploré dans cette étude, le pendant « jeune » serait intéressant à creuser : quelles sont les représentations de l’ESS qu’ont les jeunes ? Quelles sont leurs aspirations aujourd’hui ? Comment perçoivent-ils les employeurs de l’ESS, les métiers, les possibilités de carrière ? Confronter les deux approches permettrait d’identifier plus précisément des pistes de travail et des leviers de développement de l’emploi. Source : CNRES
En savoir plus Télécharger la synthèse de l'étude Télécharger l'étude http://www.cncres.org/
A propos du Réeau des Observatoires de l'ESS Le réseau des Observatoires de l’Economie Sociale et Solidaire est un dispositif de mesure et d’observation de l’ESS en France et dans les régions, réseau d’expertise mis en place par les CRESS et le CNCRES. Lieux de convergences et de mutualisation des travaux sur l’ESS, les Observatoires de l’ESS s’appuient sur une méthodologie homogène, scientifique et cohérente entre les territoires, afin d’assurer des services d’étude, de veille, d’aide à la décision et de prospective tant pour les acteurs de l’ESS que les pouvoirs publics. Les Observatoires de l’ESS réalisent des diagnostics et panoramas territoriaux, des analyses comparatives et prospectives, des études thématiques et territoriales, des notes de conjoncture, des enquêtes et baromètres. Ces travaux sont au service du développement économique, du développement territorial, des emplois et de la formation, et de la cohésion sociale. Pour ce faire, les Observatoires de l’ESS s’appuient sur des partenariats locaux avec des organismes de recherche et chercheurs (laboratoires universitaires, Chaires…), des observatoires existants (OREF…), des fournisseurs d’études et statistiques (INSEE, URSSAF, MSA, Pôle emploi…), des réseaux d’acteurs (URSCOP, URIOPSS, mutualité…), des collectivités locales ou territoriales (Régions, Départements, Pays, Communautés urbaines…), et des acteurs publics (DIRRECTE, DRJSCS, ARACT, Maisons de l’Emploi…). Les Observatoires de l’ESS constituent et animent des comités de pilotages dédiés et s’appuient sur des Conseils scientifiques garants de la qualité des productions et d’une réflexion critique et pluridisciplinaire, à la fois pour la définition d’indicateurs spécifiques permettant de rendre compte du dynamisme atypique des organisations et entreprises de l'ESS, mais aussi afin d’améliorer l’observation de l’ESS et ainsi alimenter les réflexions prospectives et choix stratégiques des acteurs et des pouvoirs publics. Source : CNRES http://www.cncres.org/