Rome plutôt que vous

Par Critikacid

 Ce film de Tariq Teguia est tout à la fois chauffé à blanc et glaçant.
Voici en effet deux jeunes, Zina et Kamel, emplis d'une joie de vivre et d'un humour corrosif dont la flamme cherche désespérément de l'oxygène dans une Alger sous couvre-feu.
Comment trouver l'oxygène nécessaire dans une ville aux apparences désertiques ("Alger, filmée de dos" dit Teguia), où les brefs moments de joie sont immédiatement fauchés par des scènes soit oniriques (un simulacre d'éxécution), soit brutales (une descente de police dans un bar semi désert)? Comment, en particulier, échapper à l'influence de la religion quand même la flicaille se comporte ainsi qu'une arrogante police des moeurs?
Zina et Kamel cherchent leur chemin. Celui de l'exil, si possible, mais aussi un chemin intérieur au travers d'un labyrinthe dans lequel ils semblent englués.
Une scène magistrale les montre errant au milieu de maisons inachevées, les armatures du béton pointant désespérément et vainement vers le ciel, sur un fond sonore free-jazz déchiqueté, dans une voiture d'emprunt rebondissant et grinçant sur les cahots de la route qui finissent par la faire ressembler à un radeau de la méduse en proie à une mer hostile.
La mer, omniprésente dès les premiers plans du film, est la porte de sortie d'Algérie mais aussi une porte blindée freinant cette fuite, ce départ physique ou au travers de la fête, à laquelle la jeunesse aspire, loin d'une Algérie où sous quelques rémanescences de la révolution des années 60 dont la morale affleure au travers des discours d'un vieux policier kabyle qui fréquenta , l'étau conservateur de la religion prospère sur la misère sourde des murs lépreux que la caméra de Teguia regarde les yeux dans les yeux.
"Le meilleur c'est un sommeil bien ivre sur la grève" lâche l'un des amis de Zina et Kamel, un qui "pense trop" selon la police. C'est du Rimbaud. Mais la phrase qui précède celle-ci dans la saison en enfer affirme "j'ai horreur de la patrie".
Au travers de cette longue journée et de cette nuits hantés par la mort et soutenus par une immense envie de vivre, envie sans débouché, qu'un message lancé sur un mode onirique depuis une Algérie en proie à une "guerre lente", c'est finalement un tableau d'une République des exilés de l'intérieur qui émerge lentement, entre abattement et espoir de jours meilleurs, le tout scandé par une langue émaillée de nombreux mots de français qui tous ramènent à l'obsession du départ.
Le mot de la fin à Rimbaud?
"
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie.  Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l'affection et le bruit neufs!"