Papa aimait jouer de la musique, mais il aimait aussi en écouter. Dans les années 60, nous fûmes enchantés de voir arriver à la maison un tourne-disque Teppaz qui nous permit d’écouter nos morceaux favoris, mais qui lui permettait à lui aussi de se plonger dans ses disques de musique classique et parfois de jazz.
Dans cette passion musicale, il fut confronté à deux difficultés majeures : en 1980, il y eut cette embolie cérébrale qui paralysa tout son côté gauche. Il n’avait plus qu’une main pour jouer au piano. Plus tard, ce sont ses oreilles qui l’abandonnèrent petit à petit. Moi qui commence à avoir les mêmes problèmes, je peux imaginer quel drame ce handicap représenta.
Pourtant, il y a à peine un mois ou deux, alors que nous parlions de tout et de rien lors d’une de mes visites du vendredi, je lui demandai : « Et la musique, tu en entends encore ? ». Je vis ses yeux et son visage s’éblouir. Il me répondit, en chantant « Ah, mais oui… La Sol La Do Si Sol La Si La Do Si Sol La Do Si Sol La… ». Les premières mesures de la Valse Opus 64, n°1, de Frédéric Chopin. De toute évidence, la musique continuait à remplir le silence dans lequel il était le plus souvent plongé.
La musique est sans doute ce qui lui a permis de tenir le coup durant une des grandes épreuves de sa vie : ses cinq années de captivité durant la deuxième guerre mondiale. Nous savons peu de choses de ces années. Mais nous savons que cela l’a profondément marqué, pour toute sa vie. Comment pourrait-il en être autrement ? Il me semble savoir qu’il continua à jouer de la musique, plutôt avec un violon. Peu importe l’instrument, ce qui compte, c’est la musique.
Ces cinq ans de captivité – qui séparèrent inévitablement nos parents avant qu’ils puissent se retrouver pour immédiatement se marier – restèrent un sujet tabou, mais omniprésent. Aussi, le jour où je voulus rendre un hommage à Papa avec les moyens qui sont les miens, c’est tout naturellement que me vint à l’esprit cette chanson, cette valse qui fit danser Scott et Kelly lors de leur mariage en 2007.
Aujourd’hui, elle a plus que jamais son sens. Papa, tu es et tu seras à tout jamais – ad vitam æternam – mon père.
Prisonnier de guerre
T’avais 25 ans en l’an 40T’avais rencontré la femme de ta vieTu t’apprêtais à la surprendreÀ l’emmener en blanc à la mairieT’avais pas prévu qu’il y aurait la guerreQue tu partirais défendre ton paysPour te retrouver prisonnier de guerreEn captivité 5 ans de ta viePendant tout ce temps il t’a fallu survivreContinuer à croire aux vertus de l’amourVeiller à ne pas partir à la dérivePour exister le jour du grand retour
Et t’es revenu pour épouser ta belleFaire comme si rien ne s’était passéT’as fait des enfants en restant fidèleÀ celle dont l’amour avait pu te conserverC’est en silence que tu as encaisséDe voir ton fils devenir immobileRéduit à rester à jamais allongéPar la simple faute d’une automobileT’as connu l’horreur de le voir partirVers la mort indicible qui réduit au néantT’as dû chercher d’autres raisons de vivreL’homme n’est pas fait pour survivre à son enfant
Et quand tu as pu enfin te reposerTu fus victime d’un bête caillot de sangQui vint réduire ta motricitéMais sans t’empêcher de marcher vers les gensToi qui m’as fait découvrir la musiqueCelle qui enchante les oreillesIl a fallu que les tiennes abdiquentT’enfermant dans un monde qui n’est pas pareilEt t’as maintenant plus de nonante ansTu vis dans ton rêve qu’enfin on te libèreEn riant parfois avec tes petits enfantsToi qui seras pour toujours mon père
On ne s’est pas souvent parléÇa n’se fait pas d’montrer ses sentimentsMais sache que ta plus grande libertéEst d’avoir pu y éduquer tes enfantsT’avais 25 ans en l’an 40T’as rencontré la femme de ta vieT’as réussi à la surprendreÀ l’emmener en blanc à la mairie
FMG © 2006